Pablo Mhanna-Sandoval, parcours atypique d’un ambitieux

Le président de la FESFO, Pablo Mhanna-Sandoval.Gracieuseté FESFO

[LA RENCONTRE D’ONFR] 

À 17 ans, Pablo Mhanna-Sandoval, élève en 12e année à l’École secondaire catholique Franco-Cité, est devenu en quelques mois l’un des visages marquants de la Francophonie. Le président de la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO) veut voir loin. Une ambition qu’il puise dans un parcours et une origine familiale particuliers.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

Beaucoup de présidents de la FESFO ont défilé au cours de ces dernières années, mais c’est curieusement vous qu’on retient le plus, comment l’explique-t-on?

J’ai toujours un pied penchant pour le spotlight, et l’art oratoire. Je me sens très bien dès que je suis devant une foule. Ça me donne une énergie. J’ai toujours eu un penchant pour être au centre de l’attention, mais de manière positive. Je me sens choyé de mettre ce talent au service de la communauté.

Il n’y a donc pas de timidité chez vous?

J’ai eu beaucoup de timidité en tant qu’enfant. Je suis né à Montréal, j’ai déménagé ici à Ottawa à neuf ans, c’était donc une vie complètement différente, je ne faisais pas de sport, donc c’était difficile de se faire des amis. J’étais très seul et un enfant spécial, socialement très limité. J’ai joint par la suite les Cadets en 2012. Pour un enfant limité socialement, ce n’est pas facile, il y a une hiérarchie à respecter.

Et donc ensuite est venue l’expérience avec la FESFO?

Oui, j’ai eu une révélation avec la tenue des Jeux franco-ontariens, à Penetanguishene, en 2015. C’était tout un monde dont je ne connaissais pas l’existence. À partir de là, j’ai eu la chance de rencontrer des personnes des quatre coins de la province. À chaque événement, c’était une croissance personnelle inimaginable qui m’a fait grandir. La fédération m’a complètement ouvert.

Pablo Mhanna-Sandoval chantant Notre Place en juin dernier, devant Michaëlle Jean, Kathleen Wynne et Marie-France Lalonde. Archives #ONfr.

La dimension multiculturelle est-elle importante pour vous?

Mon père est syrien, ma mère chilienne. C’est pour cela que l’on parle espagnol à la maison, 24 heures sur 24. Je sais que certains n’aiment pas que je le dise, mais je parle seulement trois langues, je dirais. J’aimerais apprendre l’arabe, la langue de mon père. En même temps, je ne prétends pas représenter la réalité d’une personne racialisée, d’une minorité visible, car de ma perception, je n’ai jamais trop vécu la discrimination. Je sais cependant que la réalité est différente pour d’autres personnes.

Comment est-donc venu l’attachement à la Francophonie?

Mon amour pour la Francophonie ne vient pas forcément de mes parents, qui font tout pour garder mon espagnol en vie. Je crois plutôt que c’est venu de mon déménagement du Québec en Ontario, d’être bouleversé par la dynamique majorité-minorité. Ce fut pour moi une prise de conscience de voir que le français n’était pas dans la même position qu’au Québec.

En tant que président de la FESFO, jugez-vous que certains dossiers ont avancé au cours des derniers mois?

Sur le dossier d’Ottawa bilingue, il faut le reconnaître qu’on a manqué notre coup. Quand je dis « on », je parle de tout le monde. On voulait que ça se fasse pour le 150e anniversaire de la Confédération, ça ne va pas se passer, et le projet de loi avance moins vite que prévu. Le gouvernement de Kathleen Wynne fait face à des menaces existentielles. Leur intention a été diluée, et le projet de loi de Nathalie Des Rosiers pourrait mourir au feuilleton.

Assez pessimiste donc sur le projet?

C’est un réalisme qui est nécessaire. Si je continue à dire à mes membres, que tout va bien, que tout avance super, et qu’Ottawa va devenir bilingue avant 2019, je crois que ça serait un mensonge, et je ne veux pas mentir à ma membriété. Nous allons continuer cependant à faire pression.

Et sur le dossier de l’université franco-ontarienne, diriez-vous que les choses avancent?

Notre réaction a été assez claire. Le dossier a toujours avancé lentement et par morceaux. Le résultat du rapport de Dyane Adam a été très décevant, car il n’y avait pas un défi avancé aux universités bilingues. Une grande préoccupation des partenaires, c’était le rapatriement des programmes francophones. Comment doit-on s’attendre à voir l’université francophone fonctionner, si les programmes sont dans les mains des universités bilingues qui chercheront à se mettre à Toronto avec des programmes plus répandus. Je crois vraiment à un manque de témérité du gouvernement sur le sujet. Il est content avec le format et le contenu du rapport Adam et ne veut pas perdre l’appui des alliés, par exemple l’Université d’Ottawa et d’autres universités bilingues.

Vous préconisez donc une approche plus incisive?

Il y a un manque de témérité du gouvernement. On a une opposition féroce, et un appui timide et tiède. L’opposition va gagner. Historiquement, quand un groupe de personnes veut une idée pour changer le monde, si ces personnes ne sont pas prêtes à offusquer le pouvoir, c’est toujours le statu quo qui gagne. Ça me préoccupe. La communauté franco-ontarienne est si étroite que les liens sont partout. C’est vraiment difficile d’éviter une connexion soit familiale, soit de partenaires, et c’est bien souvent la principale difficulté quand on parle d’université franco-ontarienne en tant que dossier.

Pablo Mhanna-Sandoval et Carol Jolin lors d’une conférence sur le projet d’université. (Capture écran Facebook)

Y’a-t-il des dossiers que la FESFO suit aussi particulièrment?

Quand j’ai été élu, c’était pour un rapprochement entre la communauté franco-ontarienne et les Premières nations. En tant que jeunes, nous devons être avant-gardistes lorsque l’on parle de rapprochement et de réconciliation. On vit dans un monde construit sur le génocide et une oppression tragique de peuples qui vivaient sur ces terres. On regarde aussi le dossier de l’Ontario bilingue qui a été apporté lors de notre dernière AGA. On parle de désignation, d’Oshawa qui essaye depuis longtemps, et le processus est ardu. On a la population hors Québec la plus importante. Si on veut laisser derrière ce processus ardu et inécessaire (sic), désignons l’Ontario comme une province bilingue, en suivant l’exemple du Nouveau-Brunswick et des Acadiens. Ce grand projet nécessite de la témérité, une témérité qui manque encore, car on ne veut pas offusquer les anglophones dans les régions rurales.

Vous parlez beaucoup de témérité et d’oppression, est-ce que vos parents vous ont transmis cette lutte perpétuelle contre l’oppression?

Certainement. Le régime de Pinochet au Chili a été l’un des pires régimes que l’humanité ait connu. Ma mère a vécu ça. Elle a vécu les couvre-feux, et des moments terrifiants. Mon père syrien, en ce moment, est vraiment dévasté par ce qui se passe dans son pays. J’habite dans une société nord-américaine qui tire avantage des crimes faits au Chili et en ce moment en Syrie, et partout dans le monde. Je tire profit directement de l’oppression des personnes qui ont le même teint de peau que moi. C’est pour cela que je voudrais rentrer en politique internationale. L’année prochaine, je voudrais faire un Bachelor of Public Affairs and Policy Management (B.P.A.P.M.) à l’Université Carleton.

C’est un peu paradoxal, le président de la FESFO qui va étudier en anglais?

C’est très représentatif de la situation en ce moment. On n’a pas d’institutions qui aient une réputation, avec des programmes réputés. Ce programme a une réputation dans la province et au pays. Les personnes qui graduent de ce programme se trouvent très souvent des emplois dans des sphères politiques où sont prises les décisions. J’aimerais entrer en politique internationale, essayer de changer le système de l’intérieur, même si je crois que c’est impossible, mais c’est une partie de ma vie que j’ai vraiment hâte de commencer.

Est-ce que vous voulez vous lancer en politique?

Oui, j’aimerais commencer en tant que diplomate, et bien sûr ce sera difficile, car en tant que diplomate tu ne fais pas les décisions, mais les suis. Cela dit, plus tard dans ma vie, je serai ravi d’entrer en politique fédérale, peut-être en tant que ministre des Affaires étrangères, mais aussi en tant que premier ministre. C’est le plan en ce moment, mais ça se peut que les choses changent.

Si vous étiez à la place de Justin Trudeau, quelle serait votre première mesure pour les francophones?

Le gouvernement fédéral a un rôle à jouer quand on parle du provincial et du municipal. Si le fédéral avait eu la volonté politique de désigner Ottawa comme une ville officiellement bilingue, ça serait déjà fait. Il faut donc une volonté et une témérité, j’insiste sur ce mot plus important, même si cela offusque les anglophones. »


LES DATES-CLÉS DE PABLO MHANNA-SANDOVAL :

2000 : Naissance à Montréal

2009 : Arrivée en Ontario

2015 : Premiers Jeux franco-ontariens à Penetanguishene.

2017 : Élu président de la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO)

Chaque fin de semaine, #ONfr rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.