Offre active : le commissaire Fraser demande au gouvernement d’agir

Le commissaire aux langues officielles du Canada, Graham Fraser. Archives

OTTAWA – Dans une étude publiée le mercredi 6 juillet, le commissaire aux langues officielles du Canada, Graham Fraser, dresse un portrait peu encourageant de l’offre active au sein des institutions fédérales et se penche sur les raisons de ces difficultés récurrentes.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Lors de la consultation pancanadienne sur les langues officielles de Toronto, mardi 5 juillet, le secrétaire parlementaire de la ministre du Patrimoine Canadien, Randy Boissonnault n’avait pas manqué de souligner l’importance de l’offre active pour encourager les francophones en milieu minoritaire à être moins silencieux.

Le député franco-albertain savait sans doute qu’un jour plus tard, le commissaire Fraser allait poursuivre son marathon de publications avec l’étude « L’accueil bilingue dans les institutions fédérales : parlons-en! ». D’ici à son départ, mi-octobre, M. Fraser a prévu de faire le tour de tous les problèmes récurrents auxquels il a été confronté au cours de ses dix ans à la tête du commissariat afin de donner toutes les cartes en main à son ou sa successeur.

Après Air Canada, et avant un sondage attendu sur le bilinguisme au Canada ou encore, un rapport sur la petite enfance, il dresse un constat inquiétant sur l’offre active dans le document publié le 6 juillet.

« L’offre active – c’est-à-dire l’accueil du public dans les deux langues officielles en disant, par exemple, « Bonjour! Hello! » ou « Hello!, Bonjour! » – est une obligation prescrite par la Loi sur les langues officielles qui est cruciale et mal comprise », remarque en préambule M. Fraser dans son étude.

Mais cette offre active fait encore trop souvent défaut, note-t-il, y compris dans les institutions où des services bilingues sont pourtant disponibles.

Le député d’Edmonton-Centre qui disait vouloir « encourager la société civile, les commerçants et les gouvernements qui ont la capacité d’offrir des services en français à le faire de manière active » pourra commencer par regarder au sein même des institutions fédérales avant de se lancer au-delà.

Car le commissaire aux langues officielles rejoint M. Boissonnault sur l’importance de l’offre active pour encourager les francophones à se faire entendre.

« Sans offre active, l’interaction entre l’institution fédérale et le client part du mauvais pied, ce qui entraîne des conséquences sur la prestation de services dans la langue officielle de choix du client. En effet, un client à qui le service n’est pas spontanément offert dans sa langue de préférence peut conclure que le service n’est pas disponible dans cette langue ou que, s’il est disponible, le fait d’en faire la demande pourrait retarder le service ou lui créer de l’embarras. »

La présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, Sylviane Lanthier en donne un exemple.

« Récemment, à l’aéroport d’Ottawa, un monsieur a demandé du service en français devant moi. L’agent a appelé à haute voix, au milieu de la foule, une personne qui pouvait lui en offrir. Il a donc fallu attendre que l’autre agent soit disponible et ça a fait patienter tout le monde dans la file. Ce n’est pas ce que j’appelle offrir du service en français et ça ne donne pas envie de demander! Ça ressemble plus à un accommodement et on ne sent pas que les deux langues sont égales dans ces cas-là. Je pense que la fonction publique fédérale a pas mal de travail à faire pour améliorer la situation. »

M. Fraser indique que malgré quelques tentatives et améliorations ici et là, les problèmes perdurent et que malgré les obligations juridiques, les institutions fédérales ont encore de la difficulté à accueillir le public dans les deux langues officielles.

Méconnaissance

L’une des causes principales est, selon l’étude menée auprès de 11 institutions fédérales à l’hiver 2015, dont l’Agence des services frontaliers du Canada, le Centre national des Arts et Service Canada, la méconnaissance des employés quant à l’obligation de faire une offre active. Ces derniers n’ont pas conscience de l’incidence de l’absence d’offre active pour leurs clients.

« Nous avons constaté que les fausses perceptions des employés de première ligne au sujet des clients influent sur leur décision d’offrir aux clients un accueil bilingue, a affirmé le commissaire. Certains employés auxquels nous avons parlé ont affirmé qu’ils se font une idée immédiate des préférences linguistiques des clients. D’autres croient que le public sait que les services sont offerts dans les deux langues officielles, alors ils supposent que l’offre active de service n’est pas nécessaire. »

Ces perceptions, rappelle M. Fraser, ont impact direct sur la perception des individus quant à leur capacité de vivre en français.

« Cette façon de procéder envoie le message que la langue majoritaire est la langue par défaut, alors que les deux langues officielles ont un statut égal dans les situations où le service bilingue est prescrit. »

Aucune recommandation

Le commissaire ne formule aucune recommandation au gouvernement fédéral car, explique-t-il, « les institutions fédérales ont en main plusieurs outils pour éliminer leurs lacunes en matière d’offre active ».

Il invite néanmoins « les institutions à prendre une approche différente et axée sur les expériences directes des employés. Par exemple, toute formation devrait traiter directement des perceptions erronées que les employés pourraient avoir », indique-t-il.

L’étude démontre également qu’il est plus efficace auprès des employés de mettre l’accent sur les raisons pour lesquelles il faut faire une offre active, plutôt que sur les obligations.

« Les gestionnaires ont un rôle de leader à jouer en rendant l’offre active de service prioritaire et en expliquant pourquoi c’est aussi important », explique M. Fraser. « Les clients sont souvent mal à l’aise de demander le service dans la langue officielle de leur choix, ou bien ils ont peur que cela cause des retards ou de l’embarras. Le fait de ne pas fournir une offre de services bilingue nuit aux droits linguistiques des Canadiens. »

La présidente de la FCFA rappelle une des demandes récurrentes de l’organisme porte-parole des francophones en contexte minoritaire.

« C’est une question de leadership. Si on avait une autorité centrale chargée de veiller à la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles et qui enverrait un message clair que c’est important, ça changerait sans doute pas mal de choses. »

Le CLO se dit prêt à faire sa part en produisant de nouveaux outils de communication à ceux déjà existant, mais demande également au gouvernement de se pencher « immédiatement sur le problème avec une perspective élargie qui tient compte des aspects humains. »

Mme Lanthier se dit confiante que cette question ne restera pas sans réponse.

« J’étais à la consultation sur les langues officielles, ce matin, à Winnipeg (mercredi 6 juillet – ndlr) et la question de l’offre active a été abordée. C’est un sujet qui touche directement les gens et c’est intéressant de le voir mentionné car c’est en le ramenant sur le devant de la scène qu’on trouvera de vraies solutions. »

Groupe de travail

Dans un échange de courriels avec #ONfr, le bureau du président du Conseil du trésor, Scott Brison, conjointement avec celui de la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, affirment que le gouvernement du Canada « prend très au sérieux son engagement à l’égard des langues officielles et travaille déjà à améliorer l’offre active dans le cadre des services offerts aux citoyens ».

« Nous accueillons favorablement le rapport d’étude du commissaire et nous continuerons de tenir compte de ses observations dans l’élaboration de nos politiques et l’offre de services, lesquels doivent absolument être offerts en pleine conformité avec la Loi sur les langues officielles. »

Un groupe de travail aurait même déjà été mis en place sous le gouvernement conservateur qui poursuit aujourd’hui son travail.

« Les comités consultatifs sur les langues officielles des ministères et sociétés d’État ont formé un groupe de travail sur l’offre active en 2014-2015 qui poursuit actuellement ses travaux. Il vise à partager dès que possible un guide de bonnes pratiques identifiées au sein des institutions fédérales qui sera inspiré de l’étude réalisée par le commissaire. »

Les conclusions de l’étude restent toutefois sujettes à caution puisque les employés des institutions ciblées qui y ont participé l’ont fait sur une base volontaire.

La publication de cette étude intervient alors qu’en Ontario, le commissaire aux services en français, Me François Boileau, recommandait au gouvernement provincial, dans son rapport annuel, d’enchâsser le principe d’offre active dans la Loi sur les services en français de la province.