Menace pour le recrutement des enseignants francophones

La demande d'enseignants francophones est maintenant plus forte que l'offre. Pixabay

TORONTO – Alors que les écoles franco-ontariennes comptent plus de 100000 élèves, les enseignants francophones pourraient se faire de plus en plus rares dans la province.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

« Ça ne fait que commencer », analyse le président de l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO), Carol Jolin. « On est en train de voir l’iceberg. »

L’iceberg, c’est justement le réservoir de suppléants francophones qui fond inexorablement. Ce vivier évalué à 2000 professeurs, d’après l’AEFO, sert à assurer le remplacement des enseignants permanents dans toute la province.

La raison invoquée? La concurrence féroce des écoles d’immersion francophone conjuguée à la baisse du financement dans les facultés d’éducation.

Sans compter qu’une autre mesure du ministère de l’Éducation depuis la rentrée 2015 a mis le feu aux poudres : la formation initiale à l’enseignement désormais de deux ans laquelle décourage beaucoup de candidats possibles.

Et les premières répercussions ont déjà commencé, si l’on en croit l’AEFO. Pour illustrer cette pénurie, l’association avance le chiffre de 16000 demandes de formation en 2007 contre seulement 4000 en 2016, « toutes facultés confondues ».

Jointes par #ONfr, l’Université d’Ottawa et l’Université Laurentienne n’ont pas été en mesure de confirmer ces chiffres au moment de mettre ces informations sous presse.

« La baisse des suppléants peut mener à devoir chercher des diplômés au Québec ou au Nouveau-Brunswick », fait part M. Jolin. « Il existe aussi toujours une possibilité de prendre des personnes qui ne sont pas qualifiées dans l’enseignement, ou bien à long terme que des programmes soient fermés. »

Le défi est aussi vrai dans l’autre sens, observe Benoit Mercier de l’Association franco-ontarienne des conseils scolaires catholiques (AFOCSC) : « D’autres provinces viennent chercher nos finissants et nos finissantes, pour rencontrer leurs défis, ce n’est donc pas juste l’Ontario. »

Les défis sont mêmes plus importants dans certaines régions. Le Centre-Sud-Ouest qui bénéficie d’une forte croissance des conseils scolaires francophones, et le Nord de l’Ontario en proie à une faible immigration, sont directement touchés par cette pénurie de main d’œuvre.

L’Est demeure relativement épargné, pour la vice-présidente de l’Association des conseils scolaires des écoles publiques de l’Ontario (ACÉPO), Linda Savard : « Nous avons même beaucoup d’enseignements dans cette région qui pourraient ainsi passer permanents. »

Nuances

Le ton est même volontiers plus circonspect du côté de l’ACÉPO en comparaison de l’AEFO et de son homologue des conseils catholiques : « Nous étions et nous demeurons toujours persuadés que le programme de deux ans est une bonne chose. Pour nous, cette pénurie demeure un ajustement sur lequel il faut être flexible. Nous ne voyons pas ce manque d’enseignants perdurer dans le long terme. »

Reste que les nouvelles directives du ministère de l’Éducation sont aussi valables pour la communauté anglophone, où 30000 enseignants ontariens seraient dans l’attente d’un emploi, d’après les chiffres de l’AEFO. Dans ce cas-ci, l’offre est donc supérieure à la demande.

« On ne peut effectivement pas peindre de la même brosse l’éducation en anglais et en français », croît M. Mercier.

Carol Jolin refuse encore de parler d’un « cri d’alarme », mais la situation inquiète. À tel point que l’AEFO a rencontré la ministre de l’Éducation, Liz Sandals, mardi 26 avril, pour discuter de l’enjeu.

« Nous espérons travailler en partenariat avec le ministère de l’Éducation. Mme Sandals est très consciente du problème », affirme M. Jolin. « Il ne faut pas attendre d’être au bord du gouffre pour réagir », prévient-il.

Les responsables de l’Éducation à Queen’s Park estiment, pour leur part, que les nouveaux programmes de formation sur deux ans sont conçus pour diplômer des enseignants plus aptes à répondre aux attentes professionnelles et aux défis dans les salles de classe d’aujourd’hui.

« Nous travaillons en étroite collaboration avec nos partenaires pour veiller à ce qu’il y ait suffisamment d’enseignants qualifiés pour le système de langue française alors que nous mettons en œuvre le programme amélioré de formation des enseignants. Nous sommes conscients que l’offre et la demande varient en fonction de l’emplacement géographique (…) et du domaine d’enseignement et nous continuerons à surveiller l’impact du programme », précise Nicole McInerney, du bureau de la ministre Liz Sandals, à #ONfr.