L’indépendance de Madeleine Meilleur questionnée par le Sénat

Madeleine Meilleur
Madeleine Meilleur, ancienne ministre responsable des Affaires francophones de l'Ontario.

OTTAWA – Devant la Chambre haute, le lundi 5 juin, la nouvelle commissaire aux langues officielles du Canada, Madeleine Meilleur, a dû une nouvelle fois défendre sa capacité à rester indépendante du gouvernement libéral si sa candidature est finalement validée.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Comme le prévoit la Loi sur les langues officielles (LLO) et alors que le comité parlementaire sur les langues officielles débat encore autour de la nomination de Madeleine Meilleur à la tête du commissariat aux langues officielles (CLO) du Canada, les sénateurs devaient eux aussi se pencher sur le nom de l’ancienne procureure générale de l’Ontario pour remplacer Graham Fraser.

Pendant 90 minutes, la majorité des questions qui lui ont été adressées par les sénateurs a porté sur le processus entourant sa nomination et sur sa capacité à faire preuve d’indépendance et d’impartialité, une fois en poste.

« Je vais faire ce que j’ai toujours fait quand j’étais ministre déléguée aux Affaires francophones où j’ai toujours mis les francophones avant tout », a défendu l’ancienne ministre libérale, citant plusieurs de ses expériences et de ses accomplissements en Ontario.

Mais plusieurs sénateurs ont fait part de leurs doutes sur le processus de nomination et sur les rencontres de Mme Meilleur avec des proches du premier ministre Trudeau qui auraient pu lui donner un avantage sur ses concurrents.

À la sortie de sa comparution, Mme Meilleur a de nouveau reconnu avoir rencontré la chef de cabinet du premier ministre, Katie Telford, et son secrétaire principal, Gerald Butts, mais qu’à part leur avoir indiqué son intention de poser sa candidature au poste de commissaire aux langues officielles, les discussions en étaient restées là afin de respecter le processus.

 

Verdict sénatorial dans les prochains jours

La Chambre haute a ajourné les travaux à l’issue de la comparution de Mme Meilleur et devrait se prononcer dans les prochains jours.

Le résultat du vote reste difficile à prévoir puisque la Chambre haute est composée d’une majorité relative de 38 sénateurs conservateurs, de 18 libéraux, de 35 sénateurs indépendants et de sept représentants non affiliés.

À l’exception des sénateurs conservateurs, ceux issus des communautés francophones en situation minoritaire ne s’étaient pas prononcés sur la nomination de Mme Meilleur, jusqu’ici.

Lundi soir, la libérale franco-albertaine Claudette Tardif a épargné à Mme Meilleur des questions sur son passé politique pour se concentrer sur sa vision comme commissaire aux langues officielles du Canada, tandis que la sénatrice indépendante franco-ontarienne, Lucie Moncion, lui a demandé comment elle voyait son rôle en matière d’indépendance et d’impartialité dans les situations où elle aura à intervenir sur les questions touchant le gouvernement.

Les conservateurs, tels Pierre-Hugues Boisvenu, Larry Smith ou encore Ghislain Maltais, n’ont de leur côté, sans surprise, pas ménagé Mme Meilleur. Tout en reconnaissant son travail et ses accomplissements, ils ont questionné à plusieurs reprises son indépendance et la transparence de sa nomination. Même le sénateur libéral, Serge Joyal, n’a pu cacher son malaise.

« Je ne peux que donner des éloges à votre sujet (…) mais nous nous retrouvons dans une situation impossible à votre endroit. (…) Vous n’avez pas eu le temps pour vous donner l’espace de neutralité, de distance qui vous permettrait de nous convaincre aujourd’hui que vous avez cette capacité là d’exercer vos fonctions de commissaire aux langues officielles de manière indépendante. »

 

L’opposition maintient les critiques

Devant la Chambre des communes, un peu plus tôt dans la journée, le premier ministre Justin Trudeau a de nouveau fait l’objet de nombreuses questions de l’opposition sur la nomination de Mme Meilleur. Le chef du Parti conservateur du Canada (PCC), Andrew Scheer, lui a demandé d’annuler son choix et de revoir le processus.

Le premier ministre s’est défendu selon les mêmes arguments répétés en boucle ces dernières semaines, en soulignant l’exemplarité d’un processus « ouvert, transparent et basé sur le mérite » qui a permis le choix de la meilleure candidate.

Le député et porte-parole aux langues officielles du Nouveau Parti démocratique (NPD), François Choquette, a de son côté lancé une pétition afin, selon lui, de « protéger l’indépendance du commissaire aux langues officielles », dans laquelle il demande au gouvernement libéral de « revenir sur sa décision et de nommer un commissaire aux langues officielles impartial ».

 

Les Acadiens veulent saisir les tribunaux

La nomination de Madeleine Meilleur continue également de susciter de vives réactions au sein d’une francophonie canadienne divisée.

La Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) a annoncé, le lundi 5 juin, son intention de déposer une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale dans les prochains jours pour que les juges se penchent sur la validité du processus de nomination de Mme Meilleur.

« La nomination de Mme Meilleur à la suite d’un processus influencé par une forte partisannerie nuirait indubitablement à la crédibilité et à l’influence du Commissariat [aux langues officielles du Canada]. Les informations indiquent de plus en plus que le processus de sélection et la subséquente nomination font grandement défaut », explique le président de la SANB, Kevin Arseneau dans un communiqué. « Nous réclamons une reprise du processus et l’adoption d’un processus qui est mieux adapté. »

Malgré les démarches de la SANB et la controverse qui n’en finit pas, Mme Meilleur a assuré à La Presse canadienne, juste avant sa comparution au Sénat, son intention de maintenir sa candidature.