Librairies franco-ontariennes : un chapitre difficile

Salon du livre de Toronto se déroulera les 19 et 20 mars. Archives ONFR+

[ANALYSE]

Les librairies franco-ontariennes rencontrent une période difficile. Depuis quelques années, les fermetures se multiplient. Dernière en date : la Librairie du Centre à Sudbury a mis les clés sous la porte fin juin.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

Elles ne sont aujourd’hui plus que cinq à fournir des livres en français à travers la province. Cinq pour une province comptant plus de 600000 Franco-Ontariens, et surtout plus de 100000 élèves dans les écoles francophones, là où la lecture dans la langue de Champlain est primordiale. C’est peu.

Et encore, les destins sont quelque peu différents pour ces quatre lieux de promotion de la culture franco-ontarienne. Si à Ottawa, la Librairie du Soleil a pignon sur rue depuis 28 ans dans le Marché By, le quartier le plus achalandé de la ville, la Librairie du Centre, dans le secteur Overbrook, ne connait pas la même visibilité. Dernièrement, le lieu géré par le Centre franco-ontarien de ressources pédagogiques (CFORP) a même été amputé de plus de la moitié de sa surface. Enfin, le Coin du livre sur la rue Gloucester demeure la plus vieille librairie franco-ontarienne.

En novembre dernier, les Franco-Torontois ont relancé une librairie dans les locaux de l’Alliance Française, tandis qu’à Hearst dans le Nord de la Province, la Libraire Le Nord tente tant bien que mal de conserver ses clients. Force est d’admettre que si les choses sont difficiles à Hearst, l’un des derniers bastions francophones de l’Ontario, c’est que les signaux d’alarme doivent être déclenchés pour la survie des librairies francophones.

Certes, le livre imprimé doit aujourd’hui faire face à la transition vers le numérique, et la concurrence des sites de vente en ligne. Sans compter que les grosses productions comme Costco ou Amazon font figure de redoutables compétiteurs. Mais un obstacle gêne encore plus les librairies franco-ontariennes : l’absence d’une politique du livre dans la province.

Concrètement, les éditeurs et librairies franco-ontariens sont souvent démunis face aux conseils scolaires et écoles francophones de l’Ontario tentés d’effectuer leurs achats sur internet… ou au Québec. Là où justement le Québec affirme, par le biais de la Loi 51, que seules les librairies agréées peuvent agir comme fournisseurs des institutions publiques à l’instar des bibliothèques municipales et scolaires.

Le livre ontarien est donc laissé à la libre concurrence. Sauf que cette liberté d’achat va à l’encontre des minorités linguistiques. À commencer par les Franco-Ontariens.

Plus encore, le livre reste un symbole culturel majeur. Et comme la santé, la culture ne doit pas être bradée sur l’autel de la concurrence. Surtout quand elle concerne l’une des deux langues officielles du Canada.

Prise de conscience

Dans ces conditions, les éditeurs réclament toujours une politique d’achat de la part des conseils scolaires francophones et des bibliothèques publiques. Un souhait louable mais qui doit aussi s’accompagner d’une véritable prise de conscience de l’enjeu de la part de la nouvelle ministre déléguée aux Affaires francophones, Marie-France Lalonde.

L’histoire des Franco-Ontariens, tout comme celle des francophones en milieu minoritaire, rappelle trop souvent que les acquis du présent peuvent fondre comme neige au soleil dans un futur proche. Et que si le drapeau franco-ontarien se déploie dans des dizaines de villes ontariennes, c’est bien parce que d’éventuelles pertes ont pu être anticipées.

Il serait enfin faux de voir la littérature franco-ontarienne comme en retrait par rapport à l’offre québécoise. Au cours des dernières années, Daniel Poliquin, Jean-Marc Dalpé, Michel Ouellette ou encore Nicole V. Champeau ont réussi à remporter le prestigieux Prix du Gouverneur général.

De l’absence d’une visibilité de ces auteurs dans des librairies, découlerait forcément l’érosion d’une mémoire et d’une identité. Et c’est bien la dernière chose dont les Franco-Ontariens ont aujourd’hui besoin.

Cette analyse est publiée également dans le quotidien LeDroit du 25 juillet.