Les défis pour les Marocains installés en Ontario

Le président de l'AMDT, Faouzi Metouilli (à droite). Gracieuseté AMDT

[TÉMOIGNAGES]

Le Québec, une destination de choix pour les immigrants marocains? Si environ 80 % choisissent la Belle Province pour s’établir au Canada, d’autres optent pour l’Ontario. Un pari risqué, souvent gagnant, pour ces immigrants, où la langue française n’est finalement jamais loin.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

Mustapha Radi, 35 ans, est l’un d’eux. Établi en Ontario depuis six ans, le jeune homme avait coché Toronto avant même son départ depuis Agadir pour le Canada. « Je travaille aujourd’hui pour une grande entreprise à Ottawa, mais je suis arrivé en premier à Toronto. J’étais venu au Canada pour acquérir de l’expérience et travailler de préférence en anglais. Je me suis aperçu, une fois sur place, que le français était ma force. »

Le cas de M. Radi n’est pas isolé. Les Marocains représentent dès lors un peu moins de 4 % de toutes les admissions de résidents permanents « d’expression française » (2 380) accordées en 2016, d’après les données d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC).

Le drapeau marocain hissé à Toronto (gracieuseté : AMDT)

Bien inférieurs au voisin Québécois, où l’on estime le nombre de nouveaux arrivants marocains à environ 3 000 chaque année, ces chiffes placent tout de même « le pays du chouchant lointain » dans le « top 10 » des pourvoyeurs d’immigrants francophones en Ontario. Sans compter que l’apport des migrations interprovinciales pourrait faire gonfler ces données.

« Ce n’est plus à la mode d’aller au Québec », croît Faouzi Metouilli, président de l’Association marocaine de Toronto (AMDT). « L’Ontario a une meilleure économie, c’est un avantage important. »

Des obstacles à l’intégration

Malgré ce tableau favorable, les obstacles sont nombreux sur la route des immigrants, une fois sur place. « La plupart des Marocains parlent français, mais il faut alors apprendre pour eux l’anglais. Ça peut prendre du temps. » Un défi auquel s’ajoute parfois celui de la reconnaissance des diplômes marocains.

« C’est un problème que l’on voit moins ces deux dernières années, mais il a longtemps été crucial », estime M. Metouilli. « Beaucoup de Marocains ne savaient pas quoi faire pour obtenir une équivalence de diplôme, et ainsi travailler. Lorsqu’on immigre, on ne pense pas toujours à apporter les relevés de note. Il faut alors trouver un organisme pour valider l’équivalence, c’est beaucoup de paperasse, et parfois l’équivalence obtenue s’accompagne quand même d’un retour aux études d’un ou deux ans. »

Jointe par #ONfr, l’Ambassade du Royaume du Maroc au Canada minimise l’enjeu. « Il s’agit en fait d’une formalité administrative auprès des universités d’enseignements supérieurs », fait-on savoir du côté du bureau de l’ambassadeur. Si la « plupart des demandes reçoivent satisfaction », la représentation diplomatique marocaine ne donne pas de chiffres précis.

Autre enjeu commun à presque tous les immigrants : l’adaptation culturelle. « Nous avons une culture basée sur la famille, les amis, un mode de vie très méditerranéen. Ça change donc du Canada! », lance M. Metouilli.

Changement et adaptation à un nouveau pays d’origine, ce fut aussi le défi Soukaina Boutiyeb, originaire de Casablanca, et arrivée au Canada à l’âge de 14 ans. Pour elle, aujourd’hui directrice générale de l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne (AFFC), et très impliquée dans communauté franco-ontarienne, les racines marocaines ne sont jamais loin.

La DG de l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne, Soukaina Boutiyeb.

« Mon premier contact avec la communauté franco-ontarienne a été à l’École Omer-Deslauriers. Je me considère franco-ontarienne et marocaine à la fois. Je ne considère pas l’identité comme quelque chose d’unique. »

Un héritage linguistique à transmettre

Point commun entre le Canada et le Maroc : les deux pays partagent deux langues officielles. Pour le second, on parle de l’arabe et du berbère comme les deux langues spécifiquement désignées comme telles. Le français, qui ne possède pas ce statut, reste tout de même la deuxième langue la plus parlée du Royaume. C’est particulièrement vrai dans les domaines de l’administration et du commerce.

« J’ai rapidement vu le combat continu des Franco-Ontariens. Ça m’a touchée et interpellée », estime Mme Boutiyeb.

Désireux de fonder une famille, M. Radi s’interroge déjà sur la transmission de la langue à ses futurs enfants. « Pour nous, les Marocains établis en Ontario, il y a non seulement la volonté de transmettre la langue française, mais aussi la langue arabe, le tout dans un univers anglophone. »

Mais pas question pour lui de traverser la « frontière » pour vivre au Québec. « J’ai une préférence pour l’Ontario, car ici l’intégration se fait naturellement. Mon but est de toute manière d’embrasser une nouvelle culture, tout en restant moi-même. »