Les crises scolaires, étape cruciale des 150 ans du Canada

L'image monte des manifestations contre le Règlement 17 à Ottawa.
Manifestation devant l'école Guigues, à Ottawa, à l'époque du Règlement XVII. Encyclopédie du patrimoine culturel de l'Amérique française

[CANADA 150]

OTTAWA – Dès les débuts de la Confédération en 1867, le français peine à trouver sa place au sein des institutions canadiennes. Les différentes crises scolaires à partir de la seconde moitié du XIXe siècle vont porter un coup dur aux francophones en contexte minoritaire.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

Pour l’historien Serge Dupuis, de la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression française en Amérique du Nord (CEFAN) à Université Laval, ces crises scolaires se déroulent sur plus de 75 ans… entre la première à l’Île-du-Prince-Édouard en 1854 et celle que connaît la Saskatchewan en 1931.

« Toutes les provinces à l’extérieur du Québec ont eu une crise scolaire à un moment donné pour des durées variables et avec des résultats différents, parce que dans certains cas, on abolit à la fois le français et le catholicisme, et à d’autres endroits, comme en Ontario, c’est l’enseignement du français qui est sévèrement limité. » Une référence directe ici au gouvernement ontarien d’Oliver Mowat qui, en 1885, adopte une loi exigeant que l’on enseigne l’anglais dans toutes les institutions scolaires, même françaises…

Ces règlements restrictifs se suivent. 1864 : la Législature de la Nouvelle-Écosse adopte l’Education Act (Loi sur l’éducation) qui fait de l’anglais la seule langue d’enseignement. Sept ans plus tard au Nouveau-Brunswick, le Common Schools Act (Loi sur les écoles communes) jette les bases d’un système scolaire où le français est totalement ignoré… jusqu’en 1875.

Du côté du Manitoba, tout avait bien commencé lors de son arrivée dans la Confédération (1870) avec une protection accordée aux écoles séparées francophones. Tout vole en éclats en 1890 lorsque la Législature supprime le français comme langue officielle de la province.

L’Alberta et la Saskatchewan, qui rejoignent la Confédération en 1905, ne font guère mieux. La loi scolaire de l’Alberta, l’Alberta School Act (1905) et le School Act de 1909 en Saskatchewan font de l’anglais la seule langue d’enseignement, avec un usage certes limité du français dans les classes primaires.

Pour l’Ontario, la crise culmine en 1912 avec le fameux Règlement XVII qui interdit l’enseignement et l’usage de la langue française dans les écoles. Un règlement qui ne sera abrogé qu’en 1927.

 

Une part de responsabilité pour le gouvernement fédéral

Dans ces conditions, le gouvernement fédéral, a-t-il oui ou non une responsabilité? L’article 93 de la Loi constitutionnelle protège les droits scolaires des minorités religieuses là où ces droits étaient reconnus avant 1867. On parle de « droits confessionnels », mais les francophones vont se servir de cette disposition pour la sauvegarde de leurs écoles catholiques et françaises.

Cet article 93 est tout de même de « compétence provinciale », explique Martin Pâquet, professeur d’histoire à l’Université Laval. Sauf que le gouvernement fédéral va offrir ses « bons offices » dixit l’universitaire, à plusieurs reprises, pour convaincre et mettre la pression sur les gouvernements provinciaux. Sans trop de réussites. « En 1916, un débat se déroule à la Chambre des communes sur le Règlement XVII. Une motion recommandant à l’Ontario la protection de la minorité francophone est repoussée par le premier ministre, Robert Borden. »

Petite exception à la règle : l’épisode de 1896 où le nouveau premier ministre du Canada, Wilfrid Laurier, parvient à convaincre le gouvernement manitobain de permettre l’enseignement d’une autre langue que l’anglais dans les « écoles bilingues ». Le français est alors partiellement rétabli.

La Première guerre mondiale est quand même le temps d’un nouvel état d’esprit, pour M. Dupuis. « L’idée que le français n’était peut-être pas langue officielle mais une des deux langues du pays émerge dans les 1920 et 1930 (…) On voit dans le Canada de l’entre-deux-guerres, une espèce d’ouverture à la dualité linguistique. »

 

La vision des crises scolaires de nos jours

Si 150 ans après les débuts de la Confédération, les crises scolaires paraissent bien loin, leur impact dans l’inconscient des francophones est tout de même bien réel. Et ce même si la Loi sur les langues officielles (1969) et la Charte canadienne des droits et libertés (1982) ont offert entre-temps de sérieuses garanties aux francophones.

« Elles ont marqué l’imaginaire des communautés », avance Stéphanie Chouinard, professeur de science politique au Collège militaire royal de Kingston. « Le Règlement XVII a été le moment où la communauté s’est mise en marche. Les premières organisations communautaires ont été créées. Par ailleurs, ça a marqué la petite et la grande histoire. La crise du Règlement XVII a par exemple débordé les frontières, en mobilisant des Canadiens français. Des députés en dehors de l’Ontario ou encore le journal Le Devoir ont pris position. »

Malgré les victoires obtenues par les francophones en matière de gestion scolaire, surtout à partir des années 1980, Mme Chouinard croit qu’il y a encore du travail. Et pas seulement au niveau de l’enjeu universitaire. « La question de l’éducation de la petite enfance reste encore un angle mort et de l’article 23 de la Charte. La société canadienne a changé depuis 1980, et oblige à reconsidérer aujourd’hui cette question. »

 

Tout au long de la semaine, #ONfr revient sur le 150e anniversaire de la Confédération canadienne avec une série d’articles traitant des enjeux francophones. Pour en savoir plus : http://onfr.tfo.org/