Légalisation du cannabis : « Il va falloir investir dans les services en français »

OTTAWA – Confrontés à un manque de ressources et de services dans la langue de Molière, les professionnels franco-ontariens du milieu de la santé espèrent que la légalisation du cannabis s’accompagnera d’investissements conséquents pour traiter les problèmes de dépendance et faire de la prévention en français.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Le gouvernement fédéral a présenté, le jeudi 13 avril, son projet de loi sur la légalisation du cannabis. Les troupes libérales prévoient que la nouvelle règlementation entrera en vigueur au plus tard en juillet 2018. Sur le terrain, le directeur général de la Maison Fraternité, à Ottawa, Papa Ladjiké Diouf, se dit inquiet.

« Déjà que les services en français sont les parents pauvres du système de santé, cela va mettre encore plus de pression sur nos ressources qui sont limitées et ce, alors que la nouvelle législation risque de créer plus de demandes », lance-t-il. « Nous allons avoir besoin de plus de moyens financiers et de personnel qualifié, notamment pour les adultes, afin de renforcer nos capacités d’accueil. »

Son établissement est l’un des rares en Ontario à proposer des services uniquement en français pour les adolescents et les adultes affectés directement ou indirectement par le problème de la toxicomanie. Au point que des patients francophones de tout l’Ontario sont redirigés vers l’un de ses 33 lits et doivent souvent attendre.

« Quand une personne souffre de dépendance ou qu’elle a un problème avec une drogue, la fenêtre est mince pour qu’elle accepte de se faire traiter. Si elle doit attendre un, deux ou trois mois, c’est trop tard et nous l’avons perdue », explique un intervenant francophone du milieu de la santé du nord de l’Ontario qui préfère garder l’anonymat.

Deux centres francophones existent aussi dans le nord, à Hearst, où la Maison Renaissance compte 14 lits et accueille les personnes de 16 ans et plus, et à Opasatika, avec la Maison Arc-en-ciel, pour les jeunes hommes de 12 à 24 ans.

La directrice générale de la Maison Renaissance, Danielle Plamondon, insiste sur l’importance d’avoir des services disponibles en français à travers la province.

« En santé et encore plus en matière de toxicomanie, c’est fondamental, car souvent le problème vient de loin. Il faut aller puiser dans les émotions ce qu’il est plus facile à faire dans la langue maternelle du patient. »

L’importance de l’éducation

Mais les ressources sont rares, souligne M. Diouf, notamment pour les adultes.

« On parle beaucoup de protéger les plus jeunes, mais beaucoup d’adultes toxicomanes que nous recevons ici consomment eux aussi du cannabis, ce qui est un problème quand ils ont d’autres dépendances. D’autant que les ressources en santé mentale et en traitement de la toxicomanie en français sont encore plus limitées pour eux. »

M. Diouf s’inquiète également qu’un accès plus facile au cannabis accroisse leur risque de basculer vers d’autres drogues, dites plus dures.

Le criminologue de l’Université d’Ottawa, Eugene Oscapella, spécialiste des drogues, indique que les chiffres à travers le monde ont plutôt tendance à prouver le contraire. Il ne croit pas non plus que la légalisation du cannabis entraîne une hausse de la consommation.

« Aujourd’hui, il y a un appui du public qui a compris que la répression et l’incarcération ne permettaient pas de résoudre le problème, ni de limiter la consommation. Au Canada, celle-ci est actuellement supérieure à celle des Pays-Bas où le cannabis est pourtant permis depuis de nombreuses années. Il y aura peut-être de la curiosité au départ, mais cela devrait se résorber à long terme. »

Un avis que partage le médecin Lionel Marks de Chabris, assistant professeur à la Northern Ontario School of Medicine. Pour lui, comme pour M. Oscapella, l’important sera surtout l’éducation.

« Il va falloir développer un système d’éducation publique honnête qui permettra aux Canadiens de faire un choix éclairé de consommer ou non du cannabis », note ce dernier.

Le problème, selon M. de Chabris, c’est le manque de ressources actuelles.

« Pour l’instant, nous n’avons pas développé le même savoir sur le cannabis que nous avons sur l’alcool. Il y a beaucoup de travail à faire et le gouvernement ne doit pas se précipiter, d’autant qu’il doit s’assurer que toute l’information, le matériel de prévention, autant que les éventuels services supplémentaires nécessaires, seront disponibles dans les deux langues officielles. »

La crainte est de mise pour les professionnels de la santé franco-ontariens.

« Souvent nous recevons le matériel d’information et de prévention bien après celui qui est disponible en anglais », remarque Mme Plamondon.

Dans la présentation de son projet de loi, le jeudi 13 avril, le gouvernement a assuré que des investissements seront faits pour faire de la prévention sur les risques du cannabis. La ministre de la Santé, Jane Philpott, a également rappelé que les récents transferts du gouvernement fédéral vers les provinces pour les soins de santé prévoyaient également des sommes additionnelles pour la santé mentale.

La balle sera donc dans le camp de chaque province. Celles-ci pourront également décider de l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, qui pourrait ainsi ne pas être partout dès juillet 2018, a reconnu Mme Philpott. Le gouvernement de l’Ontario a déjà annoncé qu’il s’entendra avec le Québec pour gérer les conséquences de la légalisation au sein d’un comité interministériel.

« Ce qui va être important, c’est que les gouvernements, à tous les paliers, résistent à la tentation d’utiliser les sommes obtenues par la légalisation du cannabis pour autre chose que pour améliorer les services et la prévention », souligne M. de Chabris.

CE QUE PRÉVOIT LE PROJET DE LOI :

  • Le cannabis restera illégal au Canada, sauf à des fins médicales, jusqu’à l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, prévue au plus tard pour juillet 2018.
  • L’âge légal de consommation sera fixé à 18 ans minimum ou plus, selon le choix des provinces et des territoires.
  • La possession permise sera de 30 grammes par personne.
  • Il sera possible de cultiver un maximum de quatre plants de cannabis d’une hauteur maximale d’un mètre par résidence.
  • Des appareils de détection de cannabis dans la salive seront mis en place pour permettre à la police de contrôler les personnes qui conduisent intoxiquées.
  • La distribution et la vente seront autorisées et surveillées par les provinces et les territoires.