Le patrimoine franco-ontarien en danger

l'église Saint-Charles-Borromée dans le secteur Vanier à Ottawa avait évité de justesse la démolition en 2013. Archives #ONfr

[CHRONIQUE]

Février invite à la commémoration. Sous la bannière du Réseau du patrimoine franco-ontarien (RPFO), une soixantaine d’activités communautaires célébrant l’histoire et le patrimoine oral, matériel et immatériel sont organisées depuis dix ans dans le cadre du Mois du patrimoine en Ontario français.

MARC-ANDRÉ GAGNON
Chroniqueur invité
@marca_gagnon

Toutefois, comme le rappel l’avenir incertain de la maison natale des sœurs Dionne à North Bay, les acquis en matière de protection et de mise en valeur du patrimoine demeurent fragiles pour la minorité franco-ontarienne.

Alors que les autorités ont laissé filtrer ce mois-ci quelques informations à propos du monument de la francophonie à Queen’s Park ou encore la « Route de Champlain », d’autres enjeux liés à la patrimonialisation demeurent dans l’angle mort de nos politiciens. La conservation des artéfacts et des savoir-faire ancestraux est peut-être moins « sexy » que les commémorations ronflantes et les grands coups de visibilité médiatiques qu’elles engendrent, mais elles sont aussi partie prenante dans l’édification de la mémoire collective.

Les politiques publiques : des limites apparentes

Difficile parfois de cerner les intentions gouvernementales en regardant les différentes politiques publiques en matière de patrimoine. Celles-ci ne semblent ni s’arrimer ni former un cadre cohérent. Pourtant l’Ontario s’est doté d’une importante mise à jour de sa législation en 2005 (Loi sur le patrimoine) qui protège mieux les sites historiques désignés par les municipalités.

Elle donne aussi à la Fiducie du patrimoine ontarien, un organisme gouvernemental, un mandat de recherche, de conservation et d’animation sur les questions patrimoniales en province. Or, la minorité franco-ontarienne se retrouve souvent en marge de ce cadre puisque les organismes communautaires ont développé une expertise dans la transmission du patrimoine culturel et immatériel (traditions, savoir-faire, culture orale, etc.). Ces aspects ne sont pas couverts dans la loi, qui demeure fortement axée le patrimoine bâtit. Pourtant la révision de 2005 aurait dû tenir compte de la Loi sur les services en français qui  reconnaît l’apport du patrimoine culturel de la population francophone et désire le sauvegarder pour les générations à venir ». Allez savoir ce que cela veut vraiment dire.

Historiquement, les Canadiens français de l’Ontario ont été laissés en marge des politiques successives depuis le tournant des années 1950. C’est toutefois grâce au militantisme de la communauté que les enjeux du patrimoine franco-ontarien ont su se faire une place dans les officines gouvernementales. Au tournant des années 1990, sous le leadership de l’Association canadienne-française de l’Ontario et de différentes sociétés d’histoire locale, on met sur pied le Regroupement des organismes du patrimoine franco-ontarien (aujourd’hui le RPFO) et on lance le projet d’inventaire du patrimoine franco-ontarien dirigé par Centre franco-ontarien de folklore.

Malgré cette prise en main désirée la communauté, on peut se demander jusqu’à quel point elle eut un impact sur le fonctionnariat. À regarder les programmes de la Fiducie du patrimoine, forcer de constater que l’on s’y occupe peu patrimoine franco-ontarien. Selon les données disponibles en ligne, sur l’ensemble des plaques commémoratives de la province, moins de 5% concernent l’histoire de la minorité. Dans bien des cas, il s’agit de référence épisodique à la Nouvelle-France. Certains diront cependant que cela n’aide en rien à présenter les Franco-Ontariens comme un groupe historiquement constitué et que cet intérêt de la Nouvelle-France n’est qu’un reflet des récentes célébrations du 400e de l’Ontario français.

Un souhait

Au-delà de ces impératifs politiques, il faut tout de même penser la protection du patrimoine. Ces dernières années, le domaine religieux a particulièrement retenu l’attention dans l’actualité, surtout en raison de la mobilisation qu’il suscite. Peut-être vous souvenez-vous du mouvement SOS-Église qui a milité contre la fermeture d’églises centenaires dans le comté d’Essex dans le Sud-Ouest de la province. Dans la région de la capitale fédérale, l’église Saint-Charles-Borromée à Vanier et la maison Deschâtelets ont fait l’objet de nombreux commentaires à la suite de leur prise en main par des promoteurs immobiliers.

La pratique religieuse s’est transformée dans notre société en raison des vagues migratoires ou encore de la sécularisation grandissante des institutions publiques. Aujourd’hui, de nombreux lieux de cultes changent de vocation. Parfois vendus à des intérêts privés qui les convertissements en lucratifs appartements, d’autres deviennent des centres communautaires, abritent des bibliothèques ou servent pour d’autres croyances. Ces nouvelles identités posent des dilemmes pour la conservation : que faut-il garder? Et pourquoi?

Contrairement au Québec, l’Ontario ne possède pas de Conseil du patrimoine religieux. Pourtant, avec plus de 12 000 lieux de cultes dans la province, selon la Fiducie du patrimoine ontarien, un tel organisme aurait sa raison d’être. En 2009, elle a entrepris un inventaire du patrimoine religieux, mais celui-ci demeure encore incomplet et ses résultats sont difficilement accessibles au public. C’est trop peu. Entre temps, des lieux de cultes sont menacés. Il y a urgence en la matière et l’État doit agir.

Pour les Franco-Ontariens, ce patrimoine va bien au-delà de la foi et des gestes liturgiques. Le clergé est intimement associé à l’enracinement même des communautés, soit à travers les luttes scolaires (pensons ici au célèbre Règlement 17 qui vient limiter l’enseignement de la langue française entre 1912 et 1927) ou encore la création du réseau associatif (Union Saint-Joseph, Société Saint-Jean-Baptiste, Union catholique des fermières, Scoutisme, etc.). En somme, il rappelle les tensions et les conflits entre la majorité anglophone et la minorité francophone; conflits qui se répercutent également au sein du clergé entre les cultures irlandaise et canadienne-française. En minorité, l’église devient pour les Canadiens français un lieu de sociabilité, de scolarisation et d’entraide.

La notion de patrimoine n’est pas qu’un simple mot à la mode. Elle nous invite à penser la communauté franco-ontarienne dans le temps. En nous appropriant les traces du passé et en les transmettant à notre tour, pouvons-nous dégager des représentations d’avenir. Tout compte fait, nous sommes en somme tous les héritiers.

Marc-André Gagnon est doctorant en histoire à l’Université de Guelph.

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