Le Parti PC à la croisée des chemins

Les candidats à la chefferie du Parti progressiste-conservateur de l'Ontario, Patrick Brown et Christine Elliott.

[ANALYSE]

TORONTO – Le Parti progressiste-conservateur de l’Ontario est à la croisée des chemins. L’ancienne Big Blue Machine qui a régné sur la province pendant plus de la moitié du XXième siècle doit se rapiécer si elle espère un jour revenir de l’arrière. Une reconquête qui passe d’abord par le choix d’un nouveau conducteur, le samedi 9 mai. Le choix des militants sera déterminant.

FRANÇOIS PIERRE DUFAULT
fpdufault@tfo.org | @fpdufault

La formation de centre-droite à Queen’s Park a frappé un mur, le soir du jeudi 12 juin 2014. Elle s’est retrouvée dans l’opposition pour un quatrième mandat consécutif. Et avec un caucus réduit.

Bien des militants ont blâmé l’ancien chef Tim Hudak pour cet échec. C’est lui, après tout, qui a mené sa troupe vers la défaite avec sa promesse controversée d’abolir 100 000 emplois dans la fonction publique de la province.

M. Hudak s’était accroché à la chefferie du Parti PC tant bien que mal après avoir bousillé la campagne électorale de 2011, alors que le pouvoir semblait lui être servi sur un plateau d’argent. N’ayant pas appris de ses erreurs après deux conquêtes manquées, l’élu du Niagara n’a pas d’autre choix que de céder sa place.

On se retrouve tout près d’un an plus tard.

Jim Wilson, un élu de longue date, tient les rênes du Parti PC par intérim. Pendant dix mois, cet ancien ministre influent dans le gouvernement de Mike Harris a fait de son mieux pour recoller les morceaux de sa formation. Il s’est révélé un attaquant formidable à la Législature. Il est allé à la rencontre des groupes culturels et syndicaux auxquels son ancien chef avait tourné le dos.

« Je crois que j’ai orienté le parti dans une meilleure direction qu’avant », a partagé M. Wilson à #ONfr, le jeudi 7 mai. « Nous devons arrêter de nous battre comme nous l’avons fait. J’ai essayé de prêcher par l’exemple. J’ai été voir les syndicats et je me suis excusé franchement. Le ton est maintenait plus positif ».

Pendant que M. Wilson menait sa troupe à Queen’s Park, aux quatre coins de la province, dans des assemblées partisanes, dans des cafés, et jusque dans les chaumières des militants, le Parti PC tentait de se réinventer. De se repositionner sur l’échiquier politique ontarien. De se rapprocher du pouvoir pour 2018.

Deux idéologies

L’exercice de réflexion, bien nécessaire, auquel s’est livrée le Parti PC a clairement fait ressortir les deux idéologies dominantes qui s’affrontent au sein de la formation. Une idéologie progressiste sur le plan social. Et une autre, résolument conservatrice.

Les deux candidats à la chefferie qui ont tenu le coup jusqu’au fil d’arrivée sont d’ailleurs le reflet de ces deux idéologies. D’un côté, il y a Christine Elliott, 60 ans, avec son projet de faire de l’ex-Big Blue Machine une « grande tente bleue » inclusive et à l’écoute des moins fortunés. Et de l’autre côté, il y a Patrick Brown, 36 ans, bien campé à droite sur des questions sociales comme l’avortement et les mariages de mêmes sexes.

Il était inévitable, dans le cadre d’une telle course, que ces deux idéologies en viennent à se percuter. Et c’est arrivé. Plus violemment encore après que M. Brown eut revendiqué la pole position, à la fin février.

Alors que la majorité du caucus progressiste-conservateur et des figures emblématiques comme l’ancien premier ministre Bill Davis s’étaient rangées derrière Christine Elliott dans l’espoir qu’elle redonne au parti une trajectoire centriste, la montée fulgurante de Patrick Brown, député fédéral de Barrie jusque-là méconnu sur la scène provinciale, est venue bouleverser le cours des choses.

« Je suis quelqu’un qui veut changer le parti d’une façon dramatique », confié M. Brown lors d’une entrevue avec #ONfr, le jeudi 19 mars. « Je veux créer un parti à l’écoute de ses membres. Je veux travailler avec le secteur public. J’ai passé beaucoup de temps avec les nouveaux canadiens. Notre parti et notre dernier chef, franchement, ne passaient pas beaucoup de temps avec eux. Je pense que mon approche est très différente. »

Aux yeux de Patrick Brown, c’est l’establishment « complètement déconnecté de sa base » qui soutient Christine Elliott qui est le grand responsable de la douzaine d’années qu’a passé le Parti PC à réchauffer les banquettes de l’opposition à Queen’s Park.

De l’avis de Christine Elliott, c’est plutôt la frange socialement conservatrice à laquelle adhère Patrick Brown qui entraîne le parti vers le bas et qui risque de lui faire rater le prochain rendez-vous électoral, dans trois ans.

« Le rejet par (M. Brown) d’une idéologie moderne et inclusive de l’Ontario ne fera rien d’autre que (…) garantir un autre mandat aux libéraux de Kathleen Wynne », a déclaré Mme Elliott avec fracas, le 9 avril. « Pour gagner les prochaines élections, nous devons apprendre de nos erreurs et non choisir un chef dont les idées démodées viennent s’échouer loin des courants d’aujourd’hui. »

Éducation sexuelle

C’est sur la question de l’éducation sexuelle que les progressistes-conservateurs de l’Ontario se sont probablement le plus morcelés sur la place publique. Tous deux opposés à une réforme du gouvernement libéral au nom « du choix des parents », les clans idéologiques du parti ont néanmoins emprunté des chemins très différents pour la combattre. Si la campagne de Mme Elliott a donné un appui tacite au mouvement d’opposition, celle de M. Brown a sorti l’artillerie lourde, pistonnant des centaines de manifestants à piqueter sur la pelouse de la Législature.

Le débat entre les deux camps à intérieur du Parti PC sur la question de l’éducation sexuelle a dégénéré au point où Monte McNaughton, un ex-candidat à la chefferie qui s’est rallié à M. Brown, y est allé d’une remarque frisant l’homophobie, le 3 mai. Dans un courriel à des milliers de militants, l’élu de la région de London a cherché à parodier le projet de « grande tente bleue » de Mme Elliott, lui proposant de se replier dans « une petite tente rose ».

M. McNaughton a refusé de s’excuser. La campagne de M. Brown a refusé de condamner le geste de sa recrue.

Des députés de l’aile progressiste du Parti PC ne se sont cependant pas gênés pour dénoncer leur collègue de Lambton-Kent-Middelsex. Certains se sont même vêtus de rose à l’Assemblée législative pour signaler leur mécontentement.

N’empêche. Dans une course à deux qui s’annonce des plus serrées, les appuis qu’a amenés Monte McNaughton à Patrick Brown pourraient être suffisants pour faire de lui le kingmaker du prochain chef progressiste-conservateur.

« Faites-vous des amis », a prévenu à la blague le chef intérimaire Jim Wilson, deux jours avant de passer la main à son successeur. « Ce n’est pas nécessaire d’avoir une réponse à toutes les questions. Mais il faut que nous demeurions à l’écoute de notre base, et de toute la population. »

Le français à l’ordre du jour

Pour les francophones de l’Ontario, par contre, cette course au leadership du Parti progressiste-conservateur aura eu quelque-chose d’étonnant. Peut-être même d’historique. Et pour cause. Jamais n’aura-t-on vu les enjeux de la minorité linguistique résonner si près du haut commandement de l’ex-Big Blue Machine.

Si c’est Patrick Brown qui l’emporte, le Parti PC pourrait se retrouver pour la première fois de son histoire avec le chef le plus bilingue à l’Assemblée législative. Un chef qui serait même prêt à donner aux francophones leur propre université à Toronto.

Christine Elliott, bien qu’unilingue anglophone, voudrait à son tour enchâsser les droits des Franco-Ontariens dans la Constitution canadienne et « moderniser » la Loi sur les services en français. L’Ontario deviendrait ainsi la deuxième province à donner une telle reconnaissance à sa minorité, après le Nouveau-Brunswick.

Reste à voir comment se déclineront ces bonnes intentions lorsque M. Brown ou Mme Elliott s’installera dans le siège du conducteur du Parti PC, le 9 mai. S’agit-il d’une simple manœuvre de séduction politique? Ou s’agit-il d’un véritable changement de cap pour cette formation qui a servi aux Franco-Ontariens le Règlement XVII et la crise de l’hôpital Montfort?

On le saura bien assez vite.

COUP D’ŒIL SUR LA CHEFFERIE PC

Christine Elliott
Cagnotte de campagne : plus de 750 000 $.
Ex-candidats ralliés : Victor Fedeli, Lisa MacLeod.
Principaux appuis : l’ancien premier ministre Bill Davis; les députés provinciaux Ted Arnott, Steve Clark, Garfield Dunlop, Ernie Hardeman, Michael Harris, Sylvia Jones, Gila Martow, Jim McDonell, Norm Miller, Julia Munro, Laurie Scott, Todd Smith, Lisa Thompson, Bill Walker et Jeff Yurek; les ministres fédéraux Chris Alexander et Peter Kent; l’ex-ministre fédéral John Baird; l’ex-maire torontois Rob Ford.

Patrick Brown
Cagnotte de campagne : plus de 500 000 $.
Ex-candidats ralliés : Monte McNaughton.
Principaux appuis : les députés provinciaux Bob Bailey, Jack MacLaren et Rick Nicholls; les ministres fédéraux Bal Gosal, Pierre Poilievre et Tim Uppal; l’ex-ministre fédéral Stockwell Day; l’ex-sénateur Hugh Segal; le magnat de la presse Paul Godfrey; la légende du hockey Wayne Gretzky.