Le long soupir des francophones supposément « sous respirateur artificiel »

Le drapeau franco-ontarien. Archives ONFR+

[CHRONIQUE]

Pendant que la répugnante série Canada : The Story of Us récoltait davantage de critiques (justifiées) en Acadie et au Québec que de cotes d’écoute dans l’ensemble du Canada, c’est une flèche acerbe du chroniqueur Mathieu Bock-Côté qui a fait davantage réagir en Ontario français. Sentant la bonne affaire, des politiciens ont profité de la grogne dans l’air afin de se faire valoir. Ouf!

DIÉGO ELIZONDO
Chroniqueur invité
@Diego__Elizondo

Inhaler trop d’air

La chronique de Mathieu Bock-Côté dans le Journal de Montréal du 6 avril dernier commence par un raccourci des plus petits qu’il en devient une demi-vérité : « Vendredi dernier, le Commissariat aux langues officielles nous apprenait que le français était en danger au Canada. »

C’est tout.

Il évacue volontairement de parler du contexte de la déclaration du Commissariat aux langues officielles.

Instrumentalisation, récupération et simplification à outrance, dites-vous?

En ces temps post-factuels, ce n’est pas surprenant : on pige ce qui nous plaît, où bon nous semble, afin de se conforter dans ses opinions préétablies afin de passer son idéologie.

Bock-Côté enchaîne : « Le Canada officiel a besoin des francophones comme bibelots pour se différencier des États-Unis. »

De toute évidence, il n’a pas eu vent de la série Canada : The Story of Us pour l’affirmer.

Surprenant aussi qu’il croit que le « bibelot » différentiel du Canada soit les francophones hors Québec, lui qui est en croisade perpétuelle contre cette religion politique qu’est devenu le multiculturalisme.

Vient alors la mère de toutes les bombes : « Longtemps, [le fédéral] a travaillé à les faire disparaître culturellement. Maintenant, il tient les francophones hors Québec sous respirateur artificiel. »

Une déclaration méprisante, ignorante et inexacte, oui.

On pourrait lui rendre la pareille. En le lisant régulièrement, on apprend que le français est menacé continuellement au Québec, particulièrement à Montréal.

Visiblement, c’est la Loi 101 qui tient le français sous « respirateur artificiel » au Québec. (On l’entend souvent au Canada anglais d’ailleurs).

Aussi : le Québec officiel a besoin de lois distinctes comme « bibelots » pour se différencier des Canada. Comme une loi sur la couleur de la margarine. (Véridique).

Allons donc! Ce n’est pas sérieux.

Au surplus, Bock-Côté n’est pas à une vexation près envers les francophones hors Québec. Lors des excuses de l’Ontario pour le Règlement 17, l’an dernier, il réclamait que ces excuses soient redirigées vers les Québécois, seuls véritables descendants des Canadiens français de 1912.

Bientôt, il écrira que Louis Riel était en réalité un Québécois!

Au moins, ça s’améliore. Après nous avoir passés par-dessus l’an dernier, voilà que nous sommes sous respirateur artificiel. Peut-être que l’année prochaine, dans l’esprit de Bock-Côté, nous serons sortis du prétendu coma.

Pour cette chronique, Mathieu Bock-Côté s’inspirait sans doute de la méthode d’écriture à succès d’Andrew Potter.

Respirer sous l’eau

Bien que Mathieu Bock-Côté regroupait sans aucune différence toutes les francophonies canadiennes prétendument sous « respirateur artificiel », c’est chez les Franco-Ontariens que la réaction fut la plus forte.

Un long soupir d’exaspération et de colère s’est fait entendre : voilà qu’un autre Québécois s’en prend gratuitement à nous. Ce qui a pour effet d’aggraver ce sentiment d’abandon que ressentent les Franco-Ontariens vis-à-vis des Québécois depuis les États généraux du Canada français des années 1960.

La citation est allée directement rejoindre au panthéon des détestables qualificatifs, celles des « cadavres chauds » d’Yves « Le Matou » Beauchemin et des « dead ducks » de René « ti-poil » Lévesque (quoi que pour ce dernier, toutes mes recherches jusqu’ici ne m’ont pas permis de déterminer si la citation est réelle ou non. À suivre).

Tel un régiment de cavalerie qui n’arrive jamais en retard, les politiciens ont sauté sur l’occasion, trop belle, afin de bien paraître. Sans doute pour cacher les tergiversions de leurs propres chefs et gouvernements en matière de francophonie.

Quoi de mieux de le faire en terrain amical et festif comme au Banquet de la francophonie de Prescott et Russell.

Le député fédéral du coin, Francis Drouin, s’en est pris à Mathieu Bock-Côté en insistant sur la longévité de la communauté : « ça fait 400 ans que nous vivons encore ».

En désignant les défis de la communauté comme « des enjeux » (sic!), il a dit vouloir « juste lui répondre (à M. Bock-Côté) en solidarité avec ma communauté francophone. »

Gageons que l’ancien député provincial du même coin, Jean Poirier, y aurait été, lui, de répliques plus assassines.

La ministre déléguée aux Affaires francophones de l’Ontario, Marie-France Lalonde, a aussi réagi : « c’est tellement faux, la francophonie en Ontario est plus forte que jamais, non seulement ici dans notre province, mais au niveau canadien, on est 10 millions de francophones (…) Ce sont des opinions, c’est ce qu’il a dit, mais dans les faits, la vérité, on est fiers d’être franco-ontariens. »

Il y a dans sa déclaration un désir de se convaincre elle-même en exagérant (« plus forte que jamais ») et en gonflant aussi subtilement les chiffres (comme ça nous arrive souvent en francophonie minoritaire).

Bref, le député et la ministre semble penser que la longévité et la fierté sont gages d’avenir.

Si nous ne voulons pas que les Franco-Ontariens se noient dans la mer anglophone du continent et se mettent à respirer sous l’eau, il faut leur donner les outils nécessaires à leur épanouissement et à leur pérennité. Mais il manque encore la volonté politique.

Retenir son souffle

L’essentiel est ailleurs, évidemment. Pendant qu’un chroniqueur montréalais gifle pour le plaisir les francophones hors Québec et que les politiciens y vont de grandes déclarations creuses en guise de répliques pour bien paraître, on perd de vue ce qui compte réellement. Nous comptons de moins en moins, car entre-temps, les chiffres de Statistique Canada me mentent pas : la situation est devenue périlleuse pour la francophonie hors Québec.

De là à dire que nous sommes des bibelots fédéraux sous respirateurs artificiels, il y a un monde.

Même si Bock-Côté ne la cite pas, c’est une déclaration commune de la commissaire aux langues officielles par intérim du Canada, Ghislaine Saikaley, son homologue du Nouveau-Brunswick, Katherine d’Entremont et le commissaire aux services en français de l’Ontario, François Boileau, qui l’a inspiré pour sa chronique.

La déclaration, faite le 31 mars dernier en marge du sommet de Moncton sur l’immigration francophone et de la conférence interministérielle sur la francophonie canadienne, réitérait  l’importance et l’urgence de mettre en œuvre des mesures concrètes favorisant l’immigration dans les communautés francophones en situation minoritaire.

Madame Saikaley, redoutablement efficace pour une commissaire par intérim, avait déclaré « qu’il est essentiel que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux redoublent d’efforts pour accroître l’immigration dans les communautés francophones, car le temps presse et les résultats se font attendre ».

François Boileau, lui, a insisté que « sans la mise en place de plans d’action concrets et d’un échéancier, nous ne serons jamais en mesure d’atteindre la cible nationale d’immigrants francophones, surtout en Ontario. Il est donc crucial pour les divers paliers gouvernementaux de rallier leurs efforts et d’ouvrir dès maintenant la voie à l’élaboration et à la mise en œuvre de solutions pragmatiques et mesurables ».

Le sommet de Moncton sur l’immigration s’est conclu le 31 mars dernier avec l’annonce d’une modification linguistique au programme Entrée express et la promesse de poursuivre le dialogue.

La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada a reconnu qu’il « reste encore beaucoup de travail » et l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) a parlé d’un « petit pas dans la bonne direction ».

Demeure néanmoins une impression de manque de volonté politique. Le gouvernement fédéral s’est donné une cible de 4,4 % d’immigration francophone à l’extérieur du Québec d’ici 2023. En 2015, celle-ci ne représentait que 1,3 %. En Ontario, la cible est de 5 %, mais en réalité elle atteint 2 %.

Aucune mention dans le budget fédéral déposé le 22 mars et aucun engagement non plus sur la promotion à l’étranger et le recrutement immigrant au Sommet de Moncton.

Sans volonté politique, les francophones hors Québec sont pris à retenir leur souffle avant que les politiciens se rendent éventuellement à l’évidence de la gravité de la situation et posent des gestes concerts pour assurer leur pérennité.

Question d’insuffler de l’air frais vital dans les communautés francophones et inviter Bock-Côté à faire de l’air.

Diego Elizondo est étudiant à la maîtrise en histoire à l’Université d’Ottawa.

Note : Les opinions exprimées dans cette chronique n’engagent que son auteur et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.