Le combat contre le racisme passe par l’éducation

L'éducation pourrait empêcher certains risque de déviance des jeunes, estime notre chroniqueuse. Archives

[CHRONIQUE]

Il y a une semaine, le Canada était frappé par un attentat d’une cruauté sans nom qui a enlevé la vie à six des nôtres. Le choc passé, les premières analyses à chaud effectuées, il faut maintenant sérieusement prendre le temps d’une réflexion approfondie sur la façon, non pas à court terme, j’en ai peur, mais à long terme, d’éviter qu’une telle tragédie se reproduise.

AURÉLIE LACASSAGNE
Chroniqueuse invitée

Avant toute chose, il s’agit de s’accorder sur les causes structurelles qui ont mené un jeune homme à ouvrir le feu dans un lieu de culte contre des personnes innocentes. Il existe au Canada différentes formes de racisme qui enveniment notre société et face auxquelles nous sommes dans le déni le plus profond.

Il y a tout d’abord, puisque dans ce cas c’est de cela qu’il est question, un racisme idéologique structuré. Il rassemble une petite minorité de Canadiens au sein de groupuscules auxquels ni les autorités, ni les chercheurs n’ont à date prêté l’attention requise. Ces groupuscules d’extrême droite sont constitués d’une infime partie d’idéologues aguerris aux théories racistes, en liaison étroite avec d’autres groupes racistes à travers le monde. Ils animent des blogues et des revues, ils recrutent dans leurs rangs, des ignorants, des personnes non éduquées qui en veulent à tout bouc émissaire qu’on leur présentera comme tel, de leurs malheurs, de leurs échecs, de leur marginalisation.

Il y a ensuite ce que certains appellent un « racisme ordinaire », celui-là partagé par un beaucoup plus grand nombre de nos concitoyens. Ce racisme ordinaire ne mène pas directement à l’usage de la violence brute, mais il se traduit dans les comportements électoraux (et il y a au Canada, et il y aura, des politiciens qui en appelleront aux plus bas instincts humains pour capter les votes et faire des Trump d’eux-mêmes), et surtout il se traduit au quotidien.

Vous ne voyez pas de quoi je parle? C’est pourtant simple : le racisme ordinaire, banal, quotidien, c’est quand vous voyez un Noir dans le bus et que vous hésitez à vous asseoir à côté de lui. C’est votre matante ou votre mononcle qui vous explique au chalet que c’est « quand même pas du monde que les ‘Indiens’ payent pas d’impôts surtout qu’ils sont fainéants »; c’est vos parents qui tournent de l’œil quand vous leur présentez votre nouveau chum et qui vous disent, ayant récupéré leurs esprits : « ah oui, c’est quoi déjà son prénom? Bah, ça sonne pas très français… ».

C’est votre grand-mère que vous allez voir à l’hospice et en regardant les albums de famille passe très vite sur la photo de l’arrière-grand-mère « on ne sait pas trop… Non, non, elle n’était pas indienne ». C’est mon ami somalien qui, quand il se rend à l’Hôtel de ville pour rencontrer des fonctionnaires sur un projet de développement économique, se fait immédiatement demander par le garde de sécurité s’il vient pour le bureau des libertés conditionnelles. C’est quand je me fais dire dans les rues de Sault Sainte-Marie mais aussi de Sudbury, encore au 21e siècle, « Speak white ». La liste est malheureusement longue.

Ce racisme ambiant, délétère et sournois est le plus difficile à combattre. Il requiert une seule chose : l’éducation, l’éducation, l’éducation.

Réflexion

C’est pour cela que je vous invite humblement à cette grande réflexion impérieuse qui nous permettra d’éviter de telles atrocités dans une, deux générations. Ce débat, que nous devons mener sereinement, repose sur une transformation en profondeur de notre système d’éducation.

Nous avons obtenu, après de longues luttes, des conseils scolaires de langue française qui assurent une éducation en langue française au primaire et au secondaire. La lutte n’est pas finie puisque nous n’avons pas encore atteint la « complétude institutionnelle » qui supposerait une université de langue française (au moins une, une petite). Alors, concentrons-nous sur le primaire et le secondaire pour l’instant.

Quand nous avons obtenu nos conseils scolaires, c’était bien sûr pour qu’on puisse avoir le français comme langue d’enseignement, très bien. Mais il me semble que nous avons oublié qu’une langue ne s’aime, ne se chérit, bref, ne survit et ne se développe, que par l’apprentissage de ses grands auteurs, de sa culture qui y est intrinsèquement reliée. On s’étonne encore après des dizaines d’années de voir les taux astronomiques d’assimilation de nos jeunes. Pourtant il n’y a rien d’étonnant à ce phénomène étant donné que l’on ne leur offre que des outils (une langue) sans âme (ses écrivains, sa littérature, sa philosophie, son histoire des idées). Et quelle ironie quand on connaît la richesse, non pas simplement de la langue française, mais de ses écrivains.

Vous allez me demander : « Mais quel est le rapport entre le racisme et la littérature? »

La réponse en est toute simple : la littérature, c’est l’ouverture à l’autre, c’est le voyage, c’est la connaissance de l’autre, de ses souffrances, de ses joies, de sa culture. La littérature nous met en contact avec le monde, nous permet de nous identifier avec l’autre, de le comprendre, et finalement de l’intégrer au nous collectif. Et le monde francophone est si immensément riche. Les derniers grands prix littéraires en France ont presque tous été gagnés par des écrivains issus de l’Afrique francophone. La littérature franco-ontarienne compte dans ses rangs de nombreux écrivains venus d’ailleurs et qui sont de chez nous (Hédi Bouraoui, Marguerite Andersen, Melchior Mbonimpa ou encore, Blaise Ndala). Il serait grand temps de faire découvrir à nos enfants cette richesse.

Philosophie et histoire

Il faut également leur enseigner les grands philosophes francophones : Voltaire et ses écrits sur la tolérance religieuse ne sont-ils pas d’actualité? Montesquieu et ses Lettres persanes ne sont-elles pas pertinentes? Édouard Glissant, grand poète et penseur de la Caraïbe, et sa défense de la créolisation n’est-il pas tout approprié pour comprendre qui nous sommes vraiment, comment le peuple franco-ontarien s’est développé?

Il faut finalement, bien sûr, leur enseigner l’histoire. Sans compréhension du passé, nous sommes condamnés à répéter les mêmes erreurs. Comment pouvons-nous accepter comme société que dans le curriculum ontarien, le seul cours obligatoire soit le cours d’histoire canadienne? Et oui, le cours d’histoire du monde n’est plus obligatoire. Quant au cours d’histoire canadienne restant, il relève plus de la mythologie nationale que de l’Histoire. Sans compter le fameux enseignement par projets! Quelle grandiose et imbécile idée!

Demander à un enfant de passer des heures à construire une maquette d’une seigneurie (parce que le projet est multidisciplinaire) sans qu’au final, l’enfant en question n’ait jamais reçu un cours magistral lui expliquant la Nouvelle-France, son fonctionnement politique, social, la distribution des terres, le rôle de l’église etc., c’est inouï! L’histoire devrait s’enseigner à tous les niveaux, sans négation(-isme), en expliquant comment toutes les parties du monde sont imbriquées, comment les idées, les hommes, les femmes, les langues, les cultures ont depuis toujours circulé, emprunté les uns des autres, échangé, bref, comment nous sommes un et divers en même temps, comment nous faisons avant tout partie de l’Humanité et de son grand mouvement.

Il faut arrêter de penser que nos enfants sont des imbéciles qui ne peuvent pas comprendre tout cela. Cela révèle une fois encore de ce sentiment d’infériorité que nous avons intériorisé depuis si longtemps. Depuis Durham, en fait, qui dans son rapport a écrit noir sur blanc que nous étions « un peuple sans histoire et sans littérature ». Prouvons-lui qu’il avait tort. Osons être meilleurs. Exigeons que le curriculum ontarien soit profondément révisé. Nos jeunes pourront alors recevoir une éducation qui fera d’eux des citoyens engagés, critiques, respectueux et qui seront armés pour combattre le racisme et l’intolérance.

Aurélie Lacassagne est professeure agrégée en sciences politiques à l’Université Laurentienne. 

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