L’avenir du bilinguisme en pointillé

Dans le cadre du Colloque annuel du Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF), jeudi 3 mars, à Ottawa, trois panélistes de l’Université d’Ottawa étaient invités à se pencher sur l’avenir du bilinguisme sous le gouvernement de Justin Trudeau. Benjamin Vachet

OTTAWA – Alors que les engagements du Parti libéral du Canada (PLC) en matière de langues officielles tardent à se concrétiser, trois panélistes de l’Université d’Ottawa étaient invités à se pencher sur l’avenir du bilinguisme sous le gouvernement de Justin Trudeau.

BENJAMIN VACHET
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Optimistes, s’abstenir! Que ce soit d’un point de vue historique, que statistique ou encore politique, l’avenir du bilinguisme au Canada sous le gouvernement de Justin Trudeau n’est pas assuré, selon le panel d’experts rassemblé pour une table ronde dans le cadre du Colloque annuel du Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF), jeudi 3 mars, à Ottawa.

« Le projet s’épuise et nous semblons être à la fin d’un cycle historique. Doit-on en conclure que le bilinguisme serait le reliquat d’une autre époque? », a questionné, François-Olivier Dorais, doctorant en histoire à l’Université de Montréal, en ouverture.

Les chiffres ne plaident pas en faveur de la défense et de la promotion des deux langues officielles. Et lorsqu’on parle de chiffres inquiétants, ce sont surtout ceux du français au Canada, selon Martin Meunier, professeur au Département de sociologie et d’anthropologie de l’Université d’Ottawa.

« Le nerf de la guerre, c’est la démographie! Si le régime linguistique du Canada autour de deux langues officielles s’est imposé en 1960, c’est parce qu’à cette époque, on pensait qu’à terme, le pays serait composé à part égal d’anglophones et de francophones. Aujourd’hui, le nombre de Canadiens de langue maternelle française ne cesse de diminuer, tout comme le nombre de ceux qui parlent le français la maison. Hors Québec, le français ne représente qu’un infime pourcentage dans la population et le poids démographique des francophones y est de plus en plus faible. Seule la volonté politique maintient le bilinguisme canadien en place. »

Selon M. Meunier, la communauté francophone doit penser autrement pour défendre ses acquis, ne pouvant plus s’appuyer sur le nombre.

Volonté politique

La professeure à l’École d’études politiques et titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques de l’Université d’Ottawa, Linda Cardinal, ne doute pas que le gouvernement de Justin Trudeau conservera la volonté politique de défendre l’idéal du bilinguisme canadien. Elle s’avoue toutefois déçue devant l’absence d’un message fort et clair en matière de langues officielles pendant la campagne ou lors du discours du Trône.

« Un message fort aurait pu marquer une rupture par rapport au précédent gouvernement », explique-t-elle.

Car si elle reconnaît que le gouvernement de Stephen Harper a investi des fonds dans les langues officielles, la philosophie du Parti conservateur a marqué l’idéal canadien autour de ses deux langues.

« Pendant dix ans, les conservateurs ont défendu le bilinguisme uniquement sous un angle économique et utilitaire. Ils ont fait perdre aux langues officielles leur caractère de vecteur culturel du Canada. Justin Trudeau dit vouloir rassembler la population, il va falloir voir s’il sera capable de réanimer l’esprit du bilinguisme canadien. »

Le « par et pour », seule voie d’avenir

Selon le professeur d’Études politiques à l’Université d’Ottawa, François Charbonneau, le bilinguisme n’est aujourd’hui porté que par un infime nombre de Canadiens, majoritairement les francophones hors Québec.

« Il suffit de constater que majoritairement, ceux qui appuient le projet de faire d’Ottawa la capitale bilingue d’un pays bilingue sont les francophones d’Ottawa! Justin Trudeau n’a pas l’imagination pour relancer le bilinguisme. Lui, comme beaucoup de ses ministres, sont des enfants de cet idéal, mais aujourd’hui, ils le voient davantage comme un atout professionnel et une valeur individuelle que comme un projet de société. »

Selon M. Charbonneau, le multiculturalisme a pris la place du bilinguisme car il est plus facile à promouvoir.

« Le multiculturalisme et toute la rhétorique autour du concept de « citoyens du monde » ne demandent aucun engagement, ni aucune politique. C’est un idéal facile à atteindre. »

Malgré les attentes nées de l’élection de Justin Trudeau, le professeur d’Études politiques prédit le désarroi pour les francophones qui feraient mieux, selon lui, de se concentrer sur un idéal de « par et pour ».

« C’est le seul moyen de résister pour les francophones. »

Les trois jours de colloque annuel du CRCCF sur le thème « Le bilinguisme canadien comme projet : l’histoire d’une utopie et de sa réalisation » auront donné lieu à des discussions et des échanges très poussés. Mais après plusieurs conférences et exposés, force est de constater qu’un consensus semble se dégager pour dire que l’idéal canadien du bilinguisme a décliné, au point d’être, aujourd’hui, bien moins prioritaire.