Langues officielles : les problèmes se suivent et se ressemblent

Qui succédera à Graham Fraser au poste de commissaire aux langues officielles du Canada? Archives #ONfr

OTTAWA – Le commissaire aux langues officielles du Canada, Graham Fraser, a présenté, jeudi 19 mai, son dixième et dernier rapport annuel. Il y dénombre encore de nombreux problèmes irrésolus en matière de langues officielles.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Les années passent et le constat reste le même pour le commissaire aux langues officielles du Canada. Dans son rapport annuel 2015-2016, M. Fraser indique qu’après dix ans de service, d’importants problèmes en matière de langues officielles demeurent. De fait, M. Fraser rapporte plusieurs manquements déjà observés par le passé, que ce soit en matière d’offre active, d’accès à la justice en français ou de problèmes chez Air Canada.

« Ce rapport boucle la boucle et fait table rase pour mon successeur. Mais nous prévoyons encore plusieurs études pour mettre un point final à ces problèmes récurrents », prévient M. Fraser.

D’ici la fin de son mandat, le commissaire doit notamment publier encore des études sur Air Canada, le 7 juin, sur la petite enfance et sur l’offre active.

En 2015-2016, le commissariat aux langues officielles (CLO) a reçu 725 plaintes, soit une hausse de 32% par rapport à l’année précédente. Sur ces plaintes, 409 ont été déposées en Ontario, dont 351 dans la partie ontarienne de la Région de la capitale nationale. Et au total, elles proviennent à 86% de francophones. De là à penser que l’enjeu des langues officielles ne concerne que ces derniers?

« Il faut reconnaître qu’il est plus facile pour le gouvernement fédéral d’offrir des services en anglais au Québec que des services en français dans les communautés francophones en situation minoritaire. »

Travailler en français

Comme indiqué préalablement par #ONfr, le rapport annuel de 2015-2016 compte 156 plaintes d’employés de régions bilingues regrettant de dépendre de superviseurs unilingues. Ces dernières années, ce type de plaintes oscillait plutôt entre 30 et 45 plaintes par an.

Malgré cette hausse qui nuit directement à la capacité des fonctionnaires de travailler en français, le commissaire a choisi de ne faire aucune recommandation dans ce domaine.

« Nos recommandations sont basées sur beaucoup de recherche et ne sont pas faites à légère. Pour l’instant, nous discutons avec le Conseil du Trésor et le président du Conseil du Trésor pour régler la situation. Mais je crois fortement que si le droit de travailler dans sa langue est un droit réel, il est essentiel que les superviseurs dans les régions désignées bilingues soient capables de s’exprimer suffisamment pour gérer un employé dans la langue de son choix. »

Deux recommandations principales

Cette année, le commissaire s’est focalisé sur deux recommandations principales.

Il demande à la ministre de la Justice et procureure générale, Jody Wilson-Raybould, de mettre en œuvre les recommandations de son rapport conjoint de 2013, L’accès à la justice dans les deux langues officielles : Améliorer la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures, d’ici au 31 octobre 2016. Ce rapport n’avait été suivi d’aucun effet sous le gouvernement conservateur et M. Fraser espère que le gouvernement actuel interviendra pour favoriser l’accès à la justice en français.

Le commissaire recommande également l’adoption du projet de loi S-209 de l’ancienne sénatrice Maria Chaput, repris en mains par la sénatrice Claudette Tardif, et demande au Conseil du Trésor d’évaluer les principes et ses directives en vue de la mise en œuvre de la partie IV de la Loi sur les langues officielles relative à la communication avec le public et les prestations des services.

Des recommandations qui sonnent comme un refrain déjà entendu au cours des années précédentes.

« Ce sont des problèmes récurrents parce que c’est souvent difficile pour des institutions de faire face à leurs responsabilités dans ce domaine. La question des langues officielles n’a pas la même visibilité dans le débat public que par le passé… Pour changer ça, la question du leadership est essentielle. Quand des leaders politiques et dans la fonction publique envoient un message très clair sur la dualité linguistique, on voit un impact presque immédiat. »

La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada invite le gouvernement libéral à entendre cet appel.

« Il y a beaucoup de choses qui ont avancé ces dernières années, mais il y a encore aussi beaucoup de choses qui piétinent et si on avance pas, on va reculer. Le commissaire a lancé un appel clair au gouvernement actuel de faire preuve de leadership », déclare la présidente, Sylviane Lanthier.

Problème de gouvernance

Le porte-parole aux langues officielles pour le Nouveau Parti démocratique (NPD), François Choquette s’inquiète quant à la capacité du gouvernement actuel de répondre à cet appel.

« Avec le gouvernement libéral, on s’attendait à beaucoup plus au niveau des langues officielles. Aujourd’hui, on ne sait plus à qui s’adresser. Le plus gros problème concerne la gouvernance. Qui s’occupe des langues officielles? On a une ministre du Patrimoine canadien qui s’occupe entre autres des langues officielles, mais ce n’est même plus dans son nom. On a un grave problème et on l’a vu dans le dossier du Bureau de la traduction. Qui s’occupe de s’assurer que les recommandations du commissaire vont être appliquées, qui va s’assurer de faire la promotion des langues officielles? Il n’y a personne au volant, c’est inquiétant! »

Dans ce domaine, la FCFA réitère une proposition qu’elle a déjà formulée.

« On l’a répété souvent, la question de la gouvernance nous préoccupe depuis longtemps. Nous avions fait un rapport sur cette question en 2009. Si au Bureau du conseil privé, il y avait une prise en charge de tout ce qui concerne la Loi sur les langues officielles pour donner des directives plus claires, ça changerait pas mal de choses. Il y a un besoin de centraliser les énergies. Ça nous prend une instance donc, mais aussi un commissaire qui aurait plus de pouvoir pour obliger les institutions à mettre les corrections en place. Aujourd’hui, on compte trop sur la bonne volonté des gens. »

Le 150e anniversaire du Canada offrira au gouvernement de Justin Trudeau une occasion de démontrer ses bonnes intentions.

« Je suis prudemment optimiste concernant les cérémonies du 150e. La ministre du Patrimoine canadien a l’air très engagée à ce que les célébrations soient un succès. Pour aider les organisateurs de tels événements, nous avons produit en 2014 un guide pour réussir un événement bilingue afin d’éviter les problèmes rencontrés lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Vancouver en 2010. L’outil existe, j’espère qu’il va être utilisé », précise M. Fraser.

En guise de conclusion de ce qui sera son dernier rapport annuel, le commissaire aux langues officielles adresse une lettre à la personne qui lui succèdera. Intitulée À contresens dans un escalier roulant, certains candidats pourront y voir un avertissement quant au travail qui les attend…