Langues officielles : des consultations en question

La ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, a tenu une seconde consultation sur les langues officielles, mercredi 22 juin, à St-. John's. Benjamin Vachet

ST-JEAN – Les consultations pancanadiennes sur les langues officielles au Canada se poursuivaient avec un second arrêt à St. John’s, mercredi 22 juin. Si les thèmes abordés n’ont pas surpris, des voix s’interrogent déjà sur le processus lui-même.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

À la veille de la seconde consultation organisée dans l’optique de créer une nouveau plan d’action pour les langues officielles en 2018, la présidente de la Fédération des francophones de Terre-Neuve et du Labrador (FFTNL), Cyrilda Poirier, se disait mitigée quant à ses attentes.

« Ce qui m’inquiète, c’est que certaines questions ne seront pas abordées, notamment celle du financement, alors qu’il est essentiel que la Feuille de route pour les langues officielles soit bonifiée, tout comme les fonds pour les organismes! J’espère aussi que ces consultations vont permettre de revoir le fonctionnement. Patrimoine canadien doit s’assurer que, quand il transfère des fonds pour la francophonie aux provinces et territoires, ceux-ci soient utilisés de manière transparente. Enfin, je suis un peu inquiète quant aux questions qu’on va nous poser. Je les trouve tellement vaste que j’ai peur qu’on ne parle pas des vraies affaires… »

À la sortie de l’exercice, la présidente de la FFTNL affichait une satisfaction mesurée.

« J’ai trouvé la session intéressante, on sent qu’il y a une ouverture de la part de la ministre et du ministère. Mais j’aurais aimé personnellement que ce soit un peu plus structuré et je regrette aussi que notre session, qui devait durer deux heures, ait été raccourcie de trente minutes car la ministre (du Patrimoine canadien, Mélanie Joly – ndlr) avait un autre engagement. Cela ne m’a pas permis d’intervenir pour évoquer, notamment, la question cruciale du financement. »

La présidente de la FFTNL s’est également interrogée sur l’invitation d’un intervenant très peu impliqué dans la francophonie terre-neuvienne et dans les langues officielles, selon elle.

Sentiment d’improvisation

Cette question renvoie directement au processus des consultations qui soulève déjà des questions. Lors du lancement des consultations, la ministre Mélanie Joly avait indiqué que le processus serait ouvert et transparent.

Mais les consultations, organisées sur invitation, ne renvoient pas vraiment ce message, selon la professeure à l’École d’études politiques et titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques de l’Université d’Ottawa, Linda Cardinal.

« Si ce sont des consultations publiques, tout le monde devrait pouvoir participer! On sent que même si le gouvernement dit vouloir faire les choses différemment de son prédécesseur, il y a toujours une volonté de contrôler le processus en triant les intervenants sur le volet. Il y a pourtant un risque, quand on invite toujours les mêmes personnes, d’aboutir aux mêmes idées. »

Joint par #ONfr lors de la première consultation à Alfred, le ministère du Patrimoine canadien, qui gère les consultations, avait alors assuré que les personnes qui se présenteraient volontairement aux consultations seraient les bienvenues. Mais depuis, sous couvert d’anonymat, plusieurs personnes ont indiqué à #ONfr ne pas avoir reçu le même message.

« Ce qu’on peut en conclure, c’est que l’information circule vraiment au compte-gouttes et cela donne l’impression que c’est un peu improvisé », remarque Mme Cardinal.

Présente à St. John’s, la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, se défend.

« Nous sommes toujours disponibles pour entendre tous les intervenants. Ces consultations sont ouvertes à tous, la population y est conviée et peut avoir accès en ligne à ce qui se passe », assure-t-elle, même si la consultation de St. John’s n’était pas disponible en ligne.

Mme Joly insiste également sur la pertinence des invitations : « On essaie d’avoir une plus grande pluralité des voix, on travaille très fort pour mobiliser tous nos alliés des langues officielles et les gens qui travaillent pour la dualité linguistique. On veut s’assurer d’inviter les personnes qui sont des leaders dans le domaine. Nous avons une approche plus inclusive qui va, selon moi, porter fruit. »

La présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, Sylviane Lanthier, se montre confiante.

« Le public a la possibilité de participer en remplissant le questionnaire et en y inscrivant ses commentaires ou encore en remettant un mémoire. »

Quant à l’aspect financier, Mme Lanthier pense qu’il faut procéder par étape.

« Je pense qu’il faut d’abord que le gouvernement définisse son objectif, puis les mesures pour l’atteindre afin ensuite, de pouvoir réfléchir à la question du financement. »

La ministre Joly a préféré ménager les attentes.

« On va avoir des discussions, notamment avec les provinces et les territoires, pour s’assurer que le panier de services soit élargi et de répondre aux besoins de la population francophone. On aura ensuite l’occasion de développer notre plan et des recommandations, puis de voir le cadre budgétaire. »

Des thèmes récurrents

À St. John’s, la consultation, qui a réuni une dizaine de personnes, a démontré que les enjeux sont souvent les mêmes pour les communautés francophones vivant en contexte minoritaire. Éducation, santé, immigration, petite enfance, infrastructures… la ministre Joly avait déjà entendu ces urgences.

« Ce sont des sujets qui reviennent souvent à travers le pays mais cela permet d’en souligner l’importance, tout comme celle d’une collaboration entre les gouvernements provinciaux et territoriaux. »

Très remonté, le président du Conseil scolaire francophone provincial de Terre-Neuve-et-Labrador (CSFP), Ali Chaisson s’est fait l’écho des demandes de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones (FNCSF) relatives au Programme des langues officielles en éducation.

« Le protocole est défaillant, il faut le revoir! Les conseils scolaires doivent être consultés! », a-t-il lancé en remettant son texte imprimé à la ministre.

« Du point de vue de la communauté, les ententes en éducation entre le fédéral et la province ne sont pas respectées. Cela fait notamment en sorte qu’il y a une disparité entre les enfants qui vont à l’école de langue française et ceux qui vont en école d’immersion, au détriment des enfants de nos écoles », a emboîté Mme Poirier, alors que son directeur général, Gaël Corbineau, a regretté qu’on « ne sache pas toujours où va l’argent et si la communauté francophone en bénéficie vraiment ».

Alors que le gouvernement a annoncé le rétablissement d’un programme favorisant l’immigration francophone dans les communautés de langues officielles en situation minoritaire, M. Corbineau a également invité la ministre à s’assurer que son gouvernement revoit certaines dispositions relatives aux nouveaux arrivants.

« Les gens qui arrivent avec des visas temporaires (ce qui est le cas avec le nouveau programme Mobilité francophone – nldr) mais qui ne sont pas résidents permanents, on ne peut pas leur offrir de services directs. C’est pourtant fondamental, car c’est quand ils arrivent qu’ils en ont le plus besoin, et c’est également le meilleur moyen pour nous de leur faire connaître notre communauté et de les intégrer. Le système actuel encourage l’assimilation! »

Si les thèmes et les revendications n’ont rien eu de très surprenant, la présidente de la FCFA estime important leur rappel.

« Je ne pense pas que le but des consultations soit de réinventer la roue, mais ça permet de corroborer les grands thèmes dont nous avons déjà parlés et de fournir à la ministre une idée de la réalité des communautés. J’ai bien hâte de voir où cela va nous mener! »

Mme Cardinal juge que ces consultations peuvent également être très utiles pour la ministre et son gouvernement.

« Ces consultations sont particulièrement importantes pour la ministre Joly qui a évolué auparavant dans un milieu très québécois où les enjeux ne sont pas les mêmes. Cela peut l’aider à tisser des liens, à écouter les gens des communautés francophones en contexte minoritaire et à avoir une meilleure vision de leur réalité. Cela doit lui permettre de façonner son plan et de montrer comment il se démarque du précédent. »