L’anglicisation se poursuit dans l’Est ontarien

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 Les 80 000 francophones de l’Est ontarien espéraient sans doute mieux des données linguistiques du recensement. S’ils restent majoritaires dans la plupart des municipalités, ils ne peuvent éviter un nouveau recul à la lecture des chiffres de Statistique Canada.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

Symbole de ces signaux d’alarme à répétition depuis plusieurs recensements : Hawkesbury. Ce « château fort francophone » voit son nombre de Franco-Ontariens fondre d’environ 250. L’équivalent d’une baisse relative de 1,1 point des francophones (80,8 % des résidents) par rapport au recensement de 2011, et avec pour unité de mesure la première langue officielle parlée.

Le contraste est bien différent avec la municipalité voisine d’Alfred-Plantagenet, qui, elle, gagne plus de 400 francophones. Le poids démographique des francophone reste au même niveau de 2011 (76,2 %).

« Dans l’Est ontarien, il faut bien distinguer l’Est (Hawkesbury, Canton de Champlain, Alfred-Plantagenet) et l’Ouest (Casselman, La Nation, Russell) », analyse le politologue de l’Université d’Ottawa, Martin Normand. « Disons qu’à l’Est, il y a le défi de l’éloignement des centres urbains, tandis qu’à l’Ouest, il y a un phénomène de la Couronne de la Ville d’Ottawa lequel amène un développement résidentiel et une forte immigration anglophone. »

Deux des municipalités limitrophes à la Ville d’Ottawa attestent les propos de l’universitaire. D’abord, celle de Russell, déjà marquée par le dualisme historique entre Russell et Embrun. Un millier d’anglophones de plus y sont comptabilisés, contre seulement 215 francophones supplémentaires sur la période 2011-2016. Conséquence : une baisse relative des francophones de 2,2 points sur cinq ans.

Le phénomène est aussi similaire à Clarence-Rockland, la municipalité la plus populeuse de Glengarry-Prescott-Russell (GPR) en bordure d’Ottawa. Une baisse relative de 1,8 point est enregistrée par rapport à 2011, bien que les francophones peuvent encore voir venir (majoritaire à 65 %).

Un peu plus loin qu’Ottawa, la municipalité de La Nation s’en sort bien. Les francophones sont maintenant 720 de plus (8 555) en comparaison de 2011. La baisse relative n’est ici que de 0,7 point.

Le « village gaulois » de Casselman se maintient, lui, à plus aux alentours de 80 % de francophones, enregistrant tout de même une diminution de 1,8 point.

L’immigration vue comme la solution

Toujours est-il que les Comtés unis de Prescott et Russell (gouvernement régional de huit municipalités de l’Est ontarien) comptent quatre villes ayant légiféré sur l’affichage bilingue depuis 2005. Depuis 2011, date de l’avant-dernier recensement, les quatre autres (Hawkesbury, Hawkesbury-Est, Champlain et Alfred-Plantagenet) n’emboitent toujours pas le pas. « Ces municipalités récalcitrantes n’ont pas voulu raviver des tensions », estime M. Normand.

Si l’affichage comporte « un effet de levier » intéressant, le politologue affirme que la région doit miser sur son attrait. « Il faut créer des infrastructures culturelles et sociales pour faire venir du monde. »

En janvier dernier, #ONfr apprenait qu’un centre de réfugiés francophones dans l’Est ontarien était présentement à l’étude dans la région. Un projet qui pourrait sensibiliser les réfugiés francophones à l’intérêt de l’immigration, soulignaient alors les responsables.

« La région de Prescott Russell n’accueille vraiment pas beaucoup d’immigrants francophones. Ils vont plutôt opter pour Ottawa. Ça provoque une situation difficile avec le vieillissement de la population », analyse de son côté Jean-Pierre Corbeil, directeur adjoint au Centre de la statistique ethnoculturelle, langue et immigration à Statistique Canada, en entrevue pour #ONfr.

Le cas inquiétant de Cornwall

La grande inquiétude pour la démographie de l’Est ontarien vient probablement de Cornwall dans les Comtés unis de Stormont Dundas et Glengarry. Considérant toujours la mesure de la première langue officielle parlée, les francophones y sont de moins en moins nombreux.

La baisse relative de 1,5 point par rapport à 2011 comporte une ombre plus grave : Statistique Canada comptabilise 700 francophones de moins qu’en 2011 (voir tableau ci-dessous).

« Beaucoup de francophones devraient commencer à utiliser le bonjour pour s’identifier comme français », se désole Danielle Duplantie, présidente de  l’ACFO-SDG (Association canadienne-française de l’Ontario/Stormont Dundas et Glengarry). « Nous avons un réel examen de conscience à faire. »

L’atout de l’immigration? La présidente de l’organisme porte-parole des francophones aimerait y croire. « La plupart des gens qui immigrent à Cornwall sont des Asiatiques, des Sri-Lankais, ou des Pakistanais. Le français ne devient pas leur langue officielle. »

Sur le terrain, les bonnes initiatives à l’instar de l’affichage dans les deux langues se heurtent bien souvent à d’autres obstacles. « Notre journal communautaire a disparu il y a un an. Récemment, la station radiophonique CHOD-FM a déménagé à Casselman. Ce ne sont pas des signes encourageants. »

Article écrit avec la collaboration d’Étienne Fortin-Gauthier