L’ancien juge Bastarache plaide une nouvelle cause

La Cour suprême du Canada devrait à nouveau se pencher sur un dossier concernant les francophones de la Colombie-Britannique. Courtoisie Sénat.

OTTAWA – Pour Michel Bastarache, le rétablissement du Programme de contestation judiciaire (PCJ) est essentiel pour les communautés francophones en situation minoritaire, même s’il faut en revoir la formule. Un avis que partage le commissaire aux langues officielles du Canada, Graham Fraser.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

« Dans toutes les provinces et territoires, sauf à Terre-Neuve-et-Labrador, il y a eu et il y a encore des causes en matière des droits à l’éducation des communautés en situation minoritaire qui sont devant les tribunaux. Au Nouveau-Brunswick, seule province officiellement bilingue, il y a eu quatre causes qui ont été intentées contre le gouvernement l’an dernier, dont deux sont encore en cours. Ces causes, qui durent des années, sont portées par des individus ou des groupes qui n’ont pas les moyens de les financer seuls! », a défendu l’ancien juge à la Cour suprême du Canada, Michel Bastarache.

Devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne, jeudi 21 avril, M. Bastarache a donc insisté sur la pertinence d’un programme pour aider à défendre et à faire respecter les droits linguistiques à travers le Canada.

Le comité étudie actuellement le rétablissement du PCJ, tel qu’annoncé dans le budget du gouvernement de Justin Trudeau, le 22 mars. Le PCJ vise à aider financièrement les personnes et les groupes qui souhaitent défendre des causes relatives aux droits en matière de langue et d’égalité devant les tribunaux canadiens.

Aboli en 2006 par le gouvernement de Stephen Harper, le mandat du PCJ a été partiellement rétabli, en 2009, au sein du Programme d’appui aux droits linguistiques (PADL), à la suite d’une entente hors cour.

Décisions injustes

Aux côtés de M. Bastarache, l’avocat Éric Maldoff a rappelé la pertinence de pouvoir contester des décisions gouvernementales qui nuisent au droit des citoyens canadiens de vivre dans la langue officielle de leur choix.

« Les gouvernements essaient toujours d’éviter les questions de droits linguistiques car elles ont souvent un impact financier », explique-t-il.

Prenant l’exemple des Territoires du Nord-Ouest, M. Bastarache illustre : « Là-bas, pour éviter de répondre à la demande de la communauté francophone d’agrandir l’école de langue française, le gouvernement a décidé de changer les règles d’admission afin d’en limiter la croissance. Si bien qu’avec ces nouvelles règles, une famille de nouveaux arrivants venue de France ne pourrait inscrire ses enfants unilingues dans une école francophone car ils ne sont pas citoyens canadiens! »

Bien que perdue, cette cause justifie à elle seule l’importance d’un tel programme, selon l’ancien juge, afin d’encourager les citoyens canadiens à faire respecter leurs droits.

Le commissaire aux langues officielles y voit une question essentielle d’accès à la justice.

« C’est un outil qui a aidé à clarifier et à faire avancer les droits linguistiques des communautés de langues officielles en situation minoritaire. Parfois, c’est le seul moyen efficace face à l’immobilisme des gouvernements. L’accès à la justice serait illusoire si on ne pouvait accéder aux tribunaux en raison des coûts. »

Revoir la formule

Malgré son appui incontestable, M. Bastarache, comme le commissaire Fraser, juge que des modifications sont nécessaires.

L’ancien juge à la Cour suprême du Canada joint sa voix à ceux qui, comme la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada et le Quebec Community Group Networks (QCGN), réclament la mise en place d’un organisme indépendant, géré par une fondation, et qui serait uniquement consacré à la défense des droits linguistiques. M. Bastarache avait d’ailleurs appuyé le comité externe mis sur pied par la FCFA, avec la participation de représentants du QCGN, qui avait abouti à cette solution.

« Dans la majorité des cas, les poursuites financées sont contre le gouvernement. Alors, si celui-ci peut à tout moment menacer de retirer les fonds, ça limite la portée du programme. »

M. Bastarache insiste sur les faiblesses du programme actuel.

« Le programme ne devrait pas servir à faire de la recherche, à donner de l’information au public sur les droits linguistiques ou à permettre d’organiser de conférences, comme c’est le cas actuellement. Pour tout ça, nous avons déjà les universités et le commissariat aux langues officielles. Il faudrait également abandonner l’idée de médiation préalable pour consacrer les fonds uniquement aux poursuites. »

Selon les chiffres du rapport 2014-2015 du PADL, sur 1,5 million$ de budget annuel, 700000$ sont consacrés aux recours judiciaires.

Pour M. Bastarache, il est également essentiel de revoir le mandat du nouveau programme.

« Les critères restrictifs actuels empêchent de financer des poursuites qui ont pourtant un grand impact dans la vie des gens, notamment en matière d’éducation. Le mandat du programme devrait porter sur la Charte canadienne des droits et libertés, mais aussi sur toutes les lois fédérales qui ont un impact sur les droits linguistiques, dont la Loi sur les langues officielles », souligne M. Bastarache.