Une possibilité de ponts entre les Québécois et les Franco-Ontariens

Jean-Marc Fournier, ministre québécois des Affaires intergouvernementales, et Marie-France Lalonde, ministre ontarienne responsable des Affaires francophones. Archives

[CHRONIQUE]

Au moment d’écrire ces lignes à Montréal, en marge des États généraux sur la commémoration organisés par le Mouvement national des Québécoises et des Québécois (MNQ), je ne pouvais contenir l’envie de souligner que 2016 marque le 50e anniversaire des assises préliminaires des États généraux du Canada français, également tenues à Montréal.

DIÉGO ELIZONDO
Chroniqueur invité
@Diego__Elizondo

L’idée de commémorer sous une quelconque forme les États généraux de 1966 ne viendrait pas à l’esprit tant l’expérience a été blessante et que ce schisme marqua un point tournant de rupture et de non-retour pour les francophones, leur identité collective étant dorénavant morcelée provincialement, liquidant du coup, tout un arsenal national de mémoire, de symboles et d’aspirations communes pour ne devenir qu’une simple « trace », comme l’a expliqué le sociologue Joseph Yvon Thériault.

Depuis, un abîme sépare les Québécois et les Franco-Ontariens, c’est indéniable. Pourtant, un rapprochement, sous forme d’étroite(s) collaboration(s), est-il souhaitable dans les milieux nationalistes, en misant sur le plus grand et important dénominateur commun partagé qu’est la langue française? La question est plutôt de savoir si une telle chose est réellement du ressort du possible.

Mémoire et récit

La trame narrative historique que se fait la jeunesse franco-ontarienne a été présentée dans les travaux de Stéphane Lévesque, Jean-Philippe Croteau et Raphaël Gani qui ont sondé des élèves franco-ontariens du secondaire à Ottawa afin de comprendre le récit mémoriel que se fait cette partie de la jeunesse franco-ontarienne.

En gros, le récit partagé par la majorité des élèves reprend souvent les mêmes grands pans : une importance est accordée à la géographie en identifiant le territoire, suivi de quatre grands tableaux forts qui jalonneraient l’histoire franco-ontarienne : la colonisation française du pays, l’affrontement conflictuel contre la majorité anglaise, l’épanouissement, ainsi que la fragilisation.

Jean-Philippe Croteau me confiait qu’une transposition serait possible avec le récit mémoriel que se font les jeunes Québécois, tels qu’étudiés depuis une décennie par Jocelyn Létourneau, historien de l’Université Laval. Évidemment, les protagonistes changent et les périodes historiques ne s’agencent nécessairement pas (des années, voire des décennies séparent souvent les périodes remémorées), mais réduites à leur plus simple expression, un parallèle pourrait être effectué entre les deux mémoires historiques de telle sorte qu’apparaisse dans les mémoires collectives de la jeunesse un certain relent du Canada français.

Il est certain que les professeurs Lévesque, Croteau et Gani expliqueraient mieux leur thèse que moi mais en somme, ce tableau brossé des grands pans du récit historique permet d’identifier des jalons similaires d’une mémoire qui reprend la même grille de part et d’autre, tout en s’imprégnant des couleurs locales selon le territoire donné. D’ailleurs, la thèse proposée par ces professeurs peut même se vérifier dans la lecture des événements que font des contemporains de l’époque. Par exemple, lors de la l’adoption de la Loi 8 sur les services en français en Ontario en 1986, les éditorialistes des quotidiens québécois Le Devoir et La Presse qualifient le moment de « Révolution tranquille de l’Ontario français ».

Symboles

Parmi les symboles les plus récurrents afin d’illustrer un concept aussi abstrait que le Québec et l’Ontario français se trouvent les drapeaux.

Même si le drapeau franco-ontarien a été accueilli dans l’indifférence en 1975 (aucun article à ce sujet dans Le Droit, seul le quotidien Le Soleil de Québec publia une brève dépêche à ce sujet), la création de l’historien Gaétan Gervais et de l’étudiant en science politique Michel Dupuis s’est rapidement popularisé aux quatre coins de l’Ontario français. Le drapeau est présent devant chacune des quelques 400 écoles de l’Ontario français et de ses institutions. En outre, 15 gigantesques Monuments de la francophonie inaugurés partout en province depuis 2006 commémorent de façon monumentale le symbole par excellence de l’Ontario français (reconnu officiellement depuis 2001 comme un des emblèmes de l’Ontario à la suite des efforts du député Jean-Marc Lalonde).

Le Québec se fête exclusivement depuis 1977, alors que de la première Fête nationale du Québec voit le jour, en reprenant tout simplement la Saint-Jean-Baptiste du 24 juin, fête des Canadiens français. La Saint-Jean-Baptiste a toujours été célébrée en Ontario français, mais devant ce que plusieurs ont interprété comme étant une récupération politique et québécoise de la célébration, la fête a perdu de son engouement populaire en Ontario français, bien qu’elle soit depuis soulignée (plutôt que véritablement célébrée). Officieusement, l’Ontario français se fêtait le 25 septembre, jour de la première levée du drapeau franco-ontarien, jusqu’à ce que cette journée soit reconnue officiellement par le gouvernement de l’Ontario en 2010 comme étant la Journée des Franco-Ontariens.

Politique partisane

Au-delà des considérations identitaires et culturelles, il devrait être convenu que l’intérêt suprême de l’épanouissement et de la pérennité de la culture soit au centre et même l’unique considération qui prime.

Or, trop souvent s’émancipe l’intérêt de son avancement professionnel personnel, souvent lié à son emploi du temps ou à ses opinions politiques. Surgissent alors des conflits de personnalités.

Depuis les années 1970, quelques Québécois ont appuyé les démarches d’affirmation franco-ontariennes. Pensons à l’emprisonnement de Gilles Rocheleau, maire de Hull, lors du Mouvement c’est l’temps en 1976, ou Claude Ryan et Guy Lafleur qui appuyèrent le mouvement S.O.S. Montfort en 1997.

Mais ces exemples surviennent généralement en temps de grande crise et demeurent souvent rares et anecdotiques.

Dernier exemple en liste : Maxime Laporte, président de la Société Saint-Jean-Baptiste qui a lancé en février dernier l’idée de financer l’université franco-ontarienne (toujours à être fondée) à même la Fondation pour la langue française, financement de la SSJB dédié aux initiatives francophones en milieu minoritaire.

Malheureusement, son intervention a été ignorée. Difficile de s’entendre en ces termes.

« D’Église-nation » à « pont-nation »

Le pouvoir et l’influence de l’Église qui formaient le ciment de ce que de nombreux auteurs ont appelé à juste titre « l’Église-nation » du Canada français est chose révolue depuis 50 ans. (Le fait que l’Ordre de Jacques Cartier s’était abrogé un an auparavant n’aida pas la chose non plus.)

Depuis, une franche solidarité franco-ontarienne/québécoise a été impossible entre l’expression de nouvelles identités territorialisées.

L’histoire passe et la mémoire altère les événements tout en sélectionnant ceux dont elle veut se souvenir pour en faire des moments mythologiques, d’Étienne Brûlé en Ontario français à la Révolution tranquille au Québec, même si cet exercice mémoriel lui, a opéré de façon similaire chez les Franco-Ontariens d’un côté et chez les Québécois de l’autre et peut même partager à l’occasion certaines affinités complémentaires.

La différence d’acteurs qui parsèment ces récits mémoriels est pourtant normale compte tenu des trajectoires différentes qu’ont empruntées les Franco-Ontariens et les Québécois depuis 50 ans.

Des différences, il y en a aussi sur le plan identitaire et symbolique, malgré une mémoire qui s’est construite de façon semblable.

Hormis la jalousie, la mauvaise foi et le manque de vision, qu’est-ce qui empêcherait un rapprochement entre les milieux Franco-Ontariens et Québécois?  On ne peut répondre à cette question, qui elle est mal formulée. Il faut le faire autrement, quitte à ce que ça soit posé brutalement : est-ce qu’un corps politique (le Québec) qui se reconnaît comme une nation (sanctionné aussi par le gouvernement fédéral de Stephen Harper en 2006) accepterait de porter une attention particulière, mais sincère (ne serait-ce que futilement) à un groupe qui ne se reconnaît pas comme une nation mais préfère s’autodéfinir comme une communauté? Parce qu’à part peut-être l’avocat constitutionnaliste Gilles LeVasseur, personne ne parle de la nation de l’Ontario français.

En bref, pour parler d’égal à égal, le Québec et l’Acadie, ça va de soi. Le Québec et l’Ontario français? Une nation et une communauté? Ça reste à voir. Et il ne viendrait pas à l’esprit de suggérer que la communauté franco-ontarienne puisse faire partie intégrante de la nation québécoise, un peu comme l’a fait Mathieu Bock-Côté en février dernier lors de la présentation des excuses de l’Ontario pour le Règlement XVII. Le sociologue amalgamait les Québécois aux Franco-Ontariens (tout en niant paradoxalement à peu près l’existence de ces derniers) pour réclamer des excuses de l’Ontario… pour le Québec! Un formidable effort de gymnastique intellectuelle qui aurait même fait rougir Nadia Comăneci.

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Tant sous le pont routier Champlain d’Ottawa que sous celui de Montréal. Mais le pont national moderne franco-ontarien/québécois, lui, reste à être érigé de par sa mémoire similaire, en dépit des différences identitaires et symboliques qui se manifestent aujourd’hui et à condition que la politique partisane soit ici reléguée aux oubliettes.

Diego Elizondo est étudiant à la maîtrise en histoire à l’Université d’Ottawa. 

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