La nouvelle politique des langues au Canada

Après s’être embourbé dans des déclarations jugées par l’intéressé lui-même comme «baveuses» concernant le bilinguisme officiel de la ville d’Ottawa durant le temps des Fêtes, Justin Trudeau est encore une fois sous le feu des critiques. Crédit photo: Archives #ONfr

[CHRONIQUE]

Une étonnante transformation s’opère dans le domaine de la représentation des langues au Canada. À l’aube du 150e anniversaire de la Confédération, plusieurs provinces semblent fin prêtes à bonifier le statut et la place du français, tandis qu’au fédéral, le discours sur les langues officielles cède place aux langues autochtones et, plus globalement, à la diversité linguistique. 

REMI LÉGER
Chroniqueur invité
@ReLeger

La langue est en enjeu profondément politique au Canada. Nos débats politiques et intellectuels ont souvent portés sur le statut et la place du français dominé par rapport à l’anglais dominant. Les exemples sont nombreux, depuis la langue de l’enseignement jusqu’à la langue de la fonction publique et des services publics en passant par la langue de l’affichage public et commercial.

Ces débats sur la représentation des langues sont-ils à l’aube d’une nouvelle époque? Des développements récents, autant au fédéral que dans les provinces, suscitent questions et interrogations.

Un changement d’attitude dans les provinces?

Au point de vue historique, les provinces n’ont pas pris les mesures nécessaires pour appuyer le français dominé – sauf le Québec, bien entendu. Dans les décennies suivant la Confédération, elles font de l’anglais la seule langue de l’enseignement. La période d’après-guerre apporte des changements et des possibilités, mais seule la Charte canadienne des droits et libertés et la jurisprudence qui en découle permettront d’assurer l’éducation en français.

Dans d’autres domaines aussi, la reconnaissance est faible et les changements sont lents. Une province adopte une politique sur les services en français par-ci, mais un revers est essuyé par-là. On pourrait résumer la situation du français dans les provinces par l’expression « un pas en avant, deux pas en arrière ».

Pourtant, la plupart des provinces ont, au fil des ans, modifié leur attitude envers leurs minorités francophones et la langue française. En effet, au cours des trente derniers mois, les gouvernements terre-neuvien, prince-édouardien, néo-écossais, ontarien, manitobain et albertain ont fait montre d’une nouvelle sensibilité.

On peut affirmer que la question du statut et de la place du français est dans l’air dans les provinces.

L’Île-du-Prince-Édouard a lancé le bal avec la refonte de sa Loi sur les services en français en décembre 2013. La nouvelle loi est plus ciblée que l’ancienne, visant à assurer des services en français dans les domaines jugés névralgiques par les francophones de la province. Depuis octobre 2015, les francophones de Terre-Neuve-et-Labrador bénéficient d’un nouveau levier politique : une politique sur les services en français. Cette politique déclaratoire plutôt qu’exécutoire est néanmoins un important pas en avant pour cette petite communauté francophone.

Des développements positifs sont aussi survenus dans l’espace public des derniers mois. En Nouvelle-Écosse, le premier ministre et le ministre des Affaires acadiennes ont réagi favorablement aux récentes propositions d’amendements de la Loi sur les services en français mises de l’avant par la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse (FANÉ).

Dans son rapport annuel soumis il y a quelques semaines, le commissaire aux services en français de l’Ontario, François Boileau, exige rien de moins qu’une refonte totale de la Loi sur les services en français. En Alberta, le gouvernement néo-démocrate propose de créer une politique d’appui à la francophonie albertaine.

Enfin, le nouveau gouvernement progressiste-conservateur manitobain remet sur rail, à la surprise générale des observateurs, le projet de loi néo-démocrate sur l’appui à la francophonie manitobaine mort au feuilleton en mars dernier.

Un gouvernement fédéral tourné vers la diversité linguistique

Dans l’intervalle, alors que plusieurs provinces posent finalement les balises du virage nécessaire par rapport au français, le gouvernement fédéral amorce une réflexion fondamentale sur les langues autochtones et, plus globalement, la diversité linguistique.

Il ne fait nul doute que la Loi sur les langues officielles et la Charte canadienne des droits et libertés avaient permis d’asseoir l’anglais et le français au cœur des débats canadiens sur les langues. Depuis 1969, le gouvernement fédéral a développé une série de politiques et de programmes visant à respecter les engagements pris et les droits consentis.

Or, depuis l’arrivée des libéraux au pouvoir en octobre dernier, le gouvernement fédéral s’est montré plus ouvert et réceptif par rapport à la revitalisation des langues autochtones ainsi que la promotion des nombreuses langues parlées au Canada.

Dans son discours du Trône, en s’engageant à mettre en œuvre les recommandations de la Commission de vérité et de réconciliation, le gouvernement fédéral, sans bruit ni trompette, donnait son appui aux langues autochtones. En effet, la commission recommandait l’adoption d’une loi sur les langues autochtones, la création de programmes de soutien à la préservation et la revitalisation des langues et la nomination d’un Commissaire aux langues autochtones.

Sur le plan de la diversité linguistique, le Sénat canadien, en mars dernier, a été saisi d’un projet de loi sur la pluralité linguistique. Tandis que cette loi, parrainée par la sénatrice Mobina Jaffer, ne vise pas à porter atteinte aux langues officielles, il ne demeure pas moins que son adoption marquerait un virage important en matière de représentation des langues. À ce jour, ni le premier ministre, ni la ministre du Patrimoine canadien ne se sont prononcés sur cette initiative.

En somme, j’estime que la réflexion amorcée est à la fois passionnante et inquiétante. D’une part, les langues autochtones ont été mal aimées pendant trop longtemps, et il est grand temps que nos gouvernements et la société canadienne dans son ensemble rendent justice aux Premières Nations. D’autre part, les budgets étant limités, il faut s’assurer que la reconnaissance et le soutien des langues autochtones ne se fassent pas au détriment du français toujours fragile en contexte canadien.

 

Rémi Léger est professeur en sciences politiques à l’Université Simon Fraser, à Vancouver.

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