La Loi sur les langues officielles révisée en 2019?

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OTTAWA – Le comité sénatorial sur les langues officielles mènera, sur près de deux ans, une vague de consultations pour étudier une éventuelle modernisation de la Loi sur les langues officielles (LLO) du Canada, qui fêtera ses 50 ans en 2019.

La dernière modification de la fameuse loi est intervenue en 2005, mais selon la sénatrice Claudette Tardif, présidente du comité sénatorial, il est temps de réfléchir à sa pertinence actuelle.

« Les derniers changements majeurs datent de 1988 et la Loi ne répond plus à la réalité d’aujourd’hui. Nous allons donc consulter les Canadiens et faire des recommandations au gouvernement sur ce qui pourrait être amélioré. »

La sénatrice franco-manitobaine, Raymonde Gagné, juge l’exercice nécessaire sans toutefois se faire d’illusions.

« Il va toujours falloir se battre, on le sait, mais une modification peut nous permettre de tenir compte des changements sociodémographiques. Les nouveaux arrivants francophiles ou qui veulent apprendre le français, même s’ils n’ont pas le français comme langue maternelle, doivent être reconnus. »

Le comité prévoit se déplacer à travers le Canada pour interroger les jeunes, les aînés, les communautés minoritaires, le monde de la santé et de la justice, les institutions fédérales et les responsables de de la mise en œuvre de la LLO au cours des deux prochaines années. Le rapport final devrait être prêt au plus tard le 30 juin 2019 et ses recommandations remises à la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly.

« Nous pensons qu’il est important d’interroger les jeunes pour voir ce qu’ils pensent des langues officielles, quelles sont leurs motivation à devenir bilingues », juge Mme Tardif.

Elle reconnaît que la maîtrise des deux langues officielles reste assez faible chez les anglophones à l’extérieur du Québec, avec seulement 7,4 % en 2011.

« Mais il y a un engouement chez les jeunes », assure-t-elle, citant la croissance de la demande pour des programmes d’immersion en français à l’extérieur du Québec. « Nous voulons trouver des moyens d’augmenter le bilinguisme au pays, peut-être en revoyant les règles d’accessibilité à l’école de langue française ou en augmentant le financement des programmes d’immersion? »

Faire connaître la Loi

La sénatrice franco-albertaine assure que cette étude ne fera pas doublon avec celle qui sera menée par le gouvernement fédéral pour moderniser les règles qui déterminent où il doit offrir des services bilingues à travers le Canada.

« Ce sont plutôt des travaux complémentaires car pour notre part, nous allons observer toute la Loi car il y a d’autres modifications à faire. »

Mme Tardif croit que, 50 ans plus tard, la LLO reste méconnue et sujette à beaucoup de mythes.

« Il y a besoin d’un leadership dans le domaine des langues officielles. Peut-être que ça prendrait un sous-ministre responsable du dossier? Actuellement, tout le monde travaille en silo. »

Le sénateur acadien René Cormier espère que l’étude permettra de défaire certaines perceptions.

« Il y a la perception que la question des langues officielles n’appartient qu’aux groupes minoritaires. Il y a un travail à faire là-dessus pour faire comprendre que les langues officielles font partie de notre pays et de notre identité canadienne. Le gouvernement fédéral insiste beaucoup sur la diversité canadienne, à laquelle nous adhérons, mais il doit aussi parler des langues officielles qui sont aussi une composante de notre identité comme pays. »

Pour lui, il est donc important de parler aussi à la majorité.

« Il faut aussi parler des langues officielles pour leur importance culturelle, la richesse qu’elles constituent pour notre pays afin de communiquer et de comprendre la culture de l’autre. Peut-être est-il temps de dépolitiser cet enjeu et d’en promouvoir simplement la valeur ajoutée? »

Pour Mme Gagné, cette étude doit permettre de sensibiliser aussi le gouvernement.

« Notre étude doit mettre la table pour une révision de la loi, même si c’est toujours une question de volonté politique. Il faut pousser! »

Un avis que partage la sénatrice franco-ontarienne, Lucie Moncion.

« Ce n’est pas à nous de modifier la Loi, c’est au gouvernement fédéral. Nous sommes là pour faire des recommandations et recueillir différents points de vue. Notre rapport peut aussi aider les communautés francophones dans leurs revendications. »

L’ACFA applaudit

Le président de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA), l’organisme porte-parole des Franco-Albertains, Jean Johnson se montre très enthousiaste face à l’étude que va mener le comité sénatorial.

« Cela fait plusieurs années que le Bureau du Premier ministre s’est désengagé dans ce dossier, avant même M. Harper. On prend les langues officielles pour un acquis, on ne pose aucun geste concret. Actuellement, le respect et la promotion de la Loi sur les langues officielles repose surtout sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Ce n’est pas normal! »

Selon le professeur de droit à l’Université d’Ottawa, Pierre Foucher, une modernisation de la LLO ne serait pas inutile.

« On pourrait ainsi clarifier le concept de « demande importante » qui détermine où on offre des services bilingues, on pourrait aussi parler de la langue de travail dans la fonction publique, du bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada ou encore de certains organismes fédéraux qui ne semblent pas croire qu’ils sont soumis à la Loi, comme on a pu le voir avec l’Office national de l’énergie dans le dossier de l’oléoduc Énergie Est. Et puis, n’oublions pas que lors de la dernière révision majeure de la Loi, internet et les médias sociaux n’existaient pas… »

Selon M. Foucher, il sera peut-être également temps de réfléchir à donner plus de pouvoirs au commissariat aux langues officielles du Canada pour lutter contre les récalcitrants comme Air Canada. Une idée que partage M. Johnson.

« Actuellement, les ministères ne sont pas très militants quand il s’agit de respecter la loi. Il faut toujours déposer des plaintes, aller devant les tribunaux, argumenter pour être entendu… Peut-être faut-il donner plus de dents à la Loi pour forcer son application et renforcer aussi le pouvoir du commissariat aux langues officielles du Canada. »

La mise en place de cette étude, selon M. Foucher, prouve en tout cas le rôle déterminant du Sénat pour « protéger et représenter les minorités ».