La décision de Jagmeet Singh, mauvais signal pour Horwath

Le député néo-démocrate Jagmeet Singh. Crédit image: Maxime Delaquis

[ANALYSE]

TORONTO – Il y a deux ans, Patrick Brown, jeune et ambitieux député sur les bancs de la Chambre des communes à Ottawa, devenait chef du Parti progressiste-conservateur de l’Ontario. Un « transfert » gagnant qu’aimerait aussi réaliser le néo-démocrate Jagmeet Singh, mais dans le sens inverse.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

Lundi dernier, le député de Bramalae-Gore-Malton, dans la région de Brampton, s’est lancé dans la course à la chefferie du Nouveau Parti démocratique (NPD) au fédéral. Ils sont donc maintenant six à briguer la succession de Thomas Mulcair prévue pour l’automne.

Jeune (38 ans), charismatique, à l’aise sur les médias sociaux, et de confession sikhe, M. Singh, dont l’appellation se résume bien souvent à son prénom, ne passe jamais inaperçu. Son annonce a suffi à replacer les projecteurs sur une campagne pour l’instant morne, et nettement dans l’ombre de celle des conservateurs.

Le chef adjoint du NPD de l’Ontario se pose dès lors comme l’un des favoris avec Charlie Angus de la chefferie néo-démocrate. En cas de victoire, M. Singh quitterait logiquement les rangs de Queen’s Park. Un départ qui ne constituerait pas la meilleure nouvelle pour sa chef, Andrea Horwath. D’autant que le parti tente depuis quelques semaines de reconquérir son électorat de gauche, à travers des projets tels la hausse du salaire minimum ou une assurance médicaments.

C’est justement cet électorat de gauche, multiculturel, et bien souvent issu de l’immigration, que M. Singh incarne bien au-delà de ses idées. Premier député à porter le turban et le kirpan à Queen’s park, le principal lieutenant de M. Horwath reste un symbole important.

Ses ambitions fédérales ne sont aussi pas un bon message envoyé sur la santé du NPD de l’Ontario. Y’aurait-il donc davantage à gagner pour le parti orange du côté d’Ottawa pour les élections en 2019 qu’à Queen’s Park lors du scrutin provincial de juin 2018? D’une certaine manière, M. Singh confirme l’impression de faiblesse des troupes d’Andrea Horwath en vue de l’échéance électorale. Et même si la chef démissionnerait en cas d’une troisième défaite (après 2011 et 2014), le député de la région de Brampton ne semble donc pas faire de la relance du parti sa priorité.

Autre inquiétude pour le NPD en cas de départ de M. Singh : l’argent. La communauté sikhe de Brampton n’est pas la plus à plaindre. Les nombreux partisans du député néo-démocrate représentent une manne financière intéressante pour les caisses du parti.

L’impact serait aussi évident pour la capacité des néo-démocrates à attirer les francophones. Les ambitions de Jagmeet Singh, dont le français est très bon, arrivent à un mauvais moment. Bien  malin qui peut savoir si les députés Gilles Bisson et France Gélinas seront candidats à leurs propres succession en 2018.

Car un « départ groupé » d’élus francophones et francophiles au sein du caucus néo-démocrate, c’est avant tout le risque pour le NPD de s’aliéner une partie de l’électorat franco-ontarien. Surtout, de ne pas incarner – du moins symboliquement – la relève du Parti libéral dont le bilan en termes de francophonie est de plus en plus contesté.

Reste aussi l’hypothèse d’une défaite de M. Singh dans la course à la chefferie néo-démocrate. Dans ce cas précis, acceptera-t-il de revenir siéger aux cotés de Mme Horwath? Le lien de confiance avec la chef du NPD et les autres députés sera-t-il conservé de la même manière? Rien n’est moins sûr.

L’ambition affichée de ce politicien atypique fascine. Mais Jagmeet Singh devra sans doute faire preuve de patience s’il veut atteindre ses objectifs. Au risque de perdre éventuellement beaucoup.

 

Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit du 20 mai.