Trudeau n’a d’autre choix que de retirer le nom de Madeleine Meilleur

[CHRONIQUE]

Pour la première fois de sa carrière, Madeleine Meilleur fait face à une réelle opposition pour un poste qu’elle convoite. Inhabituel pour celle qui, personne n’a oublié, s’est fait élire sans difficulté quatre fois de 2003 à 2014, sous la bannière du Parti libéral de l’Ontario dans le château-fort libéral d’Ottawa-Vanier.

DIÉGO ELIZONDO
Chroniqueur invité
@Diego__Elizondo

13 années comme députée et ministre libérale à Queen’s Park ainsi que 12 ans comme conseillère municipale à Vanier et Ottawa n’auront pas été assez pour Mme Meilleur qui continua à en mener large pratiquement dès son retrait de la politique active. Elle manifesta publiquement le désir que Mathieu Fleury prenne son siège de député provincial d’Ottawa-Vanier à Queen’s Park, sans que le principal intéressé ne soit… intéressé.

Son retrait de la politique ne l’empêcha non plus de participer activement aux campagnes de Nathalie Des Rosiers et de Mona Fortier, respectivement devenues députées provinciale et fédérale libérales d’Ottawa-Vanier.

D’ailleurs, à l’heure actuelle, Madeleine Meilleur est-elle encore membre du Parti libéral?

Ensuite, Mme Meilleur manifesta publiquement (comme personne d’autre) souhaiter obtenir le poste de commissaire aux langues officielles. Dans une entrevue exclusive à #Onfr en février dernier, elle a affirmée que l’obtention de ce prestigieux poste au sein de la francophonie canadienne serait « une suite logique de sa carrière ». Tant mieux pour elle.

L’ambition démesurée de Mme Meilleur l’a mené à crier sur toutes les tribunes son intérêt pour le poste de commissaire aux langues officielles en faisant la tournée des médias, digne d’une vraie campagne électorale!

On a fini par apprendre que le Commissariat aux langues officielles n’était que le plan B pour celle qui aspirait à devenir sénatrice.

Pour parvenir à ses fins, Mme Meilleur a su compter sur un accès privilégié aux plus proches conseillers de Justin Trudeau, en allant cogner à la porte du bureau du premier ministre. Un café avec la chef de cabinet du Premier ministre Katie Telford par-ci, une rencontre avec Gerald Butts, secrétaire principal du Premier ministre, par-là. Des vieilles connaissances alors qu’elle et eux étaient à Queen’s Park à l’époque du gouvernement de Dalton McGuinty. On n’a jamais trop d’amis…

Il est étonnant d’entendre Madeleine Meilleur citer en exemple sans cesse l’époque où elle était ministre déléguée aux Affaires francophones de l’Ontario, alors que c’est ce passé (récent) de la politique active (en est-elle réellement sorti?) qui cause problème.

N’ayant vraisemblablement pas perdu ses vieux réflexes de politicienne, Madeleine Meilleur a esquivé une question portant sur le statut d’Ottawa ville bilingue dans une entrevue accordée à Radio-Canada le jour de son passage au Comité permanent des langues officielles. Une « déresponsabilisation » comme au temps où elle était ministre, a réagi le groupe Impératif français.

Puisqu’elle met de l’avant ses 13 années comme Ministre déléguée des Affaires francophones de l’Ontario, son bilan est plus nuancé qu’elle ne laisse l’entendre.

En 2012 elle a déclaré que le prochain chef du Parti libéral ontarien et incidemment premier ministre de l’Ontario, n’avait pas à être bilingue, ce qui avait notamment provoqué l’ire du père de la Loi 8, Bernard Grandmaître.

Dans une bilan compilé par Sébastien Pierroz au moment de la démission de la politique de Mme Meilleur, l’on comptait cinq grandes réalisations de ses 13 années à titre de Ministre déléguée des Affaires francophones : le Commissariat aux services en français (2007) et son éventuelle indépendance (2014), l’indépendance de TFO (2007), deux régions désignées en vertu de la Loi 8 Kingston (2009) et Markham (2015), une croissance des conseils scolaires francophones et un accès plus accu à la justice en français.

Par contre, les dossiers plus mobilisateurs des dernières années, celui de l’université franco-ontarienne et d’Ottawa ville bilingue demeurent au statu quo.

 

Elle est des nôtres!

Dans les soubresauts de cette saga qui continue de prendre de l’ampleur, la réaction initiale de l’élite franco-ontarienne est passée de la joie à la timidité.

Initialement, certains portaient l’espoir que des dossiers de la communauté allaient se régler aisément avec la nomination de Madeleine Meilleur. Ce qui n’est pas sans rappeler la réaction prématurée à l’élection de Michaëlle Jean à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Rappelons que le poste à combler ici est celui de commissaire aux langues officielles pas de commissaire aux Franco-Ontariens.

Invité à réagir sur la nomination de Madeleine Meilleur, Carol Jolin a d’abord déclaré que « l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) va se réjouir parce que c’est une Franco-Ontarienne (…) C’est quelqu’un que l’on connaît bien et qui nous connaît bien, alors on n’aura pas besoin d’établir un lien. »

Encore plus explicite, le quotidien LeDroit en éditorial qui « estime que la communauté franco-ontarienne a tout à gagner à ce que le Commissariat aux langues officielles soit doté par une personne issue de ses rangs. Jamais les francophones de l’Ontario n’ont joué un si grand rôle dans leur province, dans leur pays. À bien des niveaux, elles constituent (sic) un exemple pour les communautés minoritaires du Canada. »

Tout comme à l’AFO, à la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) on n’y voyait que du bon avec cette nomination. C’était avant de l’Acadie réveille l’Ontario français.

Alors qu’on peut comprendre dans une fédération aussi étendue géographiquement que le Canada que l’Acadie espérait voir en des leurs devenir commissaire aux langues officielles pour la première fois depuis la création du poste il y a près de 50 ans, ils n’ont pas été bernés : la nomination de Madeleine Meilleur est une partisane.

Affichant ses couleurs, la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) « ne se rallie pas derrière la nomination partisane » de Mme Meilleur en soulignant à juste titre qu’une telle nomination politise et fragilise la crédibilité et l’intégrité de l’institution qu’est le Commissariat aux langues officielles.

Après coup, LeDroit a pointé en éditorial que c’est Justin Trudeau et Mélanie Joly qui ultimement en « porteront la responsabilité politique » alors que FCFA et l’AFO,  maintenant préoccupées, ont réclamé que le processus de sélection qui à mener au choix de Madeleine Meilleur pour le poste soit divulgué.

En catastrophe, la FCFA a organisé une réunion au sommet jeudi 25 mai de ses organismes membres afin d’accorder ses violons.

 

Transparence opaque 

La sélection de Madeleine Meilleur est le choix des libéraux de Justin Trudeau. Un choix vraisemblablement convenu d’avance par ceux qui nous ont promis une transparence totale et si éclatante qu’elle donnerait des voies ensoleillées.

Dans des entrevues explosives à La Presse canadienne et à Radio-Canada les 23 et 25 mai derniers des prétendants au poste de commissaire aux langues officielles (dont l’avocat constitutionnaliste acadien Michel Doucet a été le seul à le faire à visage découvert) ont levé le voile sur le processus de sélection qui a mené au choix de Madeleine Meilleur.

M. Doucet aurait appris la nomination de Meilleur en fait accompli au cours d’une discussion avec un député libéral fédéral en mars dernier, où on lui aurait dit : « oublie-ça, tout le monde sait que c’est madame Meilleur qui va être nommée au poste de commissaire aux langues officielles. »

Quand Madeleine Meilleur déclare que l’obtention du poste de commissaire aux langues officielle représente pour elle « le couronnement de ma carrière », il semble bien qu’il y ait eu couronnement…

Rappelons que la nomination de Mme Meilleur a été ébruitée le 10 mai avant l’annonce officielle le 15 mai dernier.

Invité à « parler avec certains chefs de file du gouvernement du Parti libéral » s’il était réellement sérieux dans sa démarche, M. Doucet a répliqué vouloir être choisi en fonction de ses compétences et non de ses allégeances politiques. Le député libéral lui a répondu sarcastiquement : « C’est beau, félicitations! C’est un beau principe, mais c’est pas comme ça que ça marche! »

Comme Meursault dans L’Étranger d’Albert Camus, M. Doucet a refusé de jouer le jeu. Et les libéraux jouent à un jeu dangereux.

En jeu, qu’un tel précédent pourrait avoir des conséquences dangereuses pour l’avenir de l’indépendance des agents du Parlement. Le gouvernement Trudeau doit en nommer plusieurs bientôt, au moins cinq.

À la conception économique dont il a hérité de Stephen Harper, Justin Trudeau a ajouté celui de la partisannerie éhontée en matière de langues officielles.

Aux révélations de Michel Doucet a précédé celle que Madeleine Meilleur a contribué à au moins 5500 $ en dons à Justin Trudeau et au Parti libéral au cours de la dernière course à la chefferie (2013) et à la dernière élection générale fédérale (2015) en plus de participer à des cocktails partisans.

Le Sénat et son Comité permanent des langues officielles qui compte 11 membres, dont cinq indépendants, quatre conservateurs et deux libéraux (dont une à la présidence) doivent voter sur la nomination de Mme Meilleur. Voyons comment le Sénat qui se veut moins partisan accueillera la nomination d’une candidate trop partisante pour siéger avec eux à la Chambre haute!

La SANB a raison de ne pas se rallier derrière la nomination de Madeleine Meilleur et de réclamer que le processus de sélection soit recommencé.

Ceux qui prétendent être chefs de file de la francophonie doivent faire front commun derrière la position de la SANB, laisser de côté leurs propres préjugés favorables aux libéraux et oublier les guerres de clochers entre communautés francophones.

Un message unanime doit être envoyé au gouvernement de Justin Trudeau que les francophones en situation minoritaire ne se contenteront pas d’une nomination partisane pour lui faire plaisir et que les principes de l’indépendance et de l’intégralité du Commissariat et des agents du Parlement sont primordiaux pour nous.

Contrairement à ce que le quotidien LeDroit affirme en éditorial, la nomination de Madeleine Meilleur ne rejaillira en rien sur la communauté franco-ontarienne, mais la complaisance de son élite serait tromper ceux qu’elle prétend défendre.

On se demande par ailleurs sur quels critères Justin Trudeau qualifie « d’exceptionnelle » la candidature de Madeleine Meilleur, sachant qu’elle ne remplit pas le critère de neutralité qui incombe au poste. C’est comme ceux qui soutiennent que des candidats d’exception seront écartés avec la bilinguisation des juges à la Cour suprême. L’indépendance et le bilinguisme ne sont pas des atouts au besoin. Ils sont des impératifs.

Certains, dont Michel Doucet, sont tentés de déposer une plainte contre le Premier ministre et de poursuivre le gouvernement pour avoir enfreint l’article 49.1 de la Loi sur les langues officielles qui stipule que les chefs de parti reconnus à la Chambre des communes doivent être préalablement consultés.

L’intéressée ne risquant pas de se récuser elle-même malgré la sérieuse atteinte à sa crédibilité, Justin Trudeau n’a d’autre choix que de retirer le nom de Madeleine Meilleur.

Pour que le mérite triomphe sur la partisannerie, meilleure chance la prochaine fois.

 

Diego Elizondo est étudiant à la maîtrise en histoire à l’Université d’Ottawa.

Note : Les opinions exprimées dans cette chronique n’engagent que son auteur et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.