Juges bilingues : « Le gouvernement libéral n’est pas sérieux »

Le porte-parole aux langues officielles pour le Nouveau Parti démocratique, François Choquette. Crédit image: Benjamin Vachet

OTTAWA – Il a beau passer l’été dans sa circonscription, le député de Drummond et porte-parole aux langues officielles pour le Nouveau Parti démocratique (NPD), François Choquette garde un œil attentif sur ses dossiers prioritaires à la Chambre des communes. Alors qu’il espère encore que son projet de loi sera étudié à la chambre des communes à la fin de l’année, il a suivi avec attention le passage de la ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, devant le comité permanent de la justice et des droits de la personne, le 11 août dernier.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Pressée de questions par le chef du NPD, Thomas Mulcair, qui souhaitait comprendre ce qu’entendait le gouvernement libéral par « effectivement bilingue » comme critère dans le nouveau processus de nomination des juges à la Cour suprême du Canada annoncé par le premier ministre Justin Trudeau dans différents médias le 2 août, la ministre Wilson-Raybould a tenté d’en donner une définition.

« Cela veut dire que le juge puisse comprendre les arguments oraux et écrits sans l’aide d’un interprète. La capacité à pouvoir discuter avec les avocats n’est pas exigée, mais ce serait bien sûr un attribut positif du candidat. »

Une réponse qui a provoqué l’ironie de M. Mulcair au moment de résumer la position du gouvernement : « Si je comprends bien, on peut rencontrer le critère d’être « effectivement bilingue », même si effectivement on ne parle pas l’autre langue? »

Suivre les recommandations de M. Fraser

Le critique aux langues officielles, François Choquette, se dit stupéfait par la réponse de la ministre de la Justice.

« Elle ne doit pas connaître le dossier des langues officielles pour répondre ça! Il y a des critères très clairs qui ont été établis par le commissaire aux langues officielles quant au bilinguisme des juges dans son rapport de 2013 (L’Accès à la justice dans les deux langues officielles : Améliorer la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures – ndlr). Il suffirait d’appliquer ses recommandations et de le mandater d’expliquer quel bilinguisme est nécessaire pour ce genre de travail. »

Dans son étude, le commissaire aux langues officielles expliquait : « Les personnes consultées dans le cadre de cette étude nous ont signalé que le niveau de bilinguisme exigé d’un juge présidant une instance dans la langue de la minorité (ou une instance bilingue) va bien au-delà de la capacité de converser dans les deux langues officielles. Le juge doit non seulement être en mesure de comprendre les faits qui lui sont soumis et au besoin, les témoignages, mais il doit en outre posséder une connaissance, dans les deux langues officielles, de la terminologie juridique applicable à l’instance qu’il préside. »

M. Fraser y citait également l’étude Analyse pan canadienne des besoins de formation en langues officielles dans le domaine de la justice, réalisé en 2009 par le ministère de la Justice du Canada, dans laquelle il était précisé : « Il va sans dire que la maîtrise du vocabulaire juridique dépasse largement la capacité de soutenir une conversation dans les deux langues officielles. On a plutôt affaire ici à une suite logique où la capacité de soutenir une conversation dans les deux langues officielles constitue la première étape. Va suivre la deuxième étape consistant à maîtriser le vocabulaire juridique approprié au domaine de la justice dans lequel l’intervenant œuvre. Une troisième et dernière étape consiste à s’approprier le discours juridique dans les deux langues officielles, c’est-à-dire la capacité d’utiliser de façon appropriée le vocabulaire juridique acquis dans son application pratique. »

Menace sur le projet de loi

M. Choquette dit craindre que la sortie de Justin Trudeau ne menace son projet de loi. Prenant la suite d’Yvon Godin, qui par trois fois a essayé de faire du bilinguisme une condition essentielle à la nomination des juges à la Cour suprême du Canada, le député de Drummond tente de faire inscrire cette obligation dans une nouvelle loi.

« Pour nous, le bilinguisme des juges est une question sérieuse et c’est d’ailleurs pour ça que nous avons envoyé notre chef nous représenter au comité. C’est une condition indispensable pour garantir un accès égal à la justice pour les deux communautés de langues officielles. Une politique, comme celle proposée par le gouvernement, c’est bien, mais ça n’a pas la force d’une loi. Le gouvernement n’est pas sérieux dans sa démarche, il tente de glisser sous le tapis mon projet de loi mais je ne lâcherai pas! Même si j’ai de sérieux doutes que le Parti libéral appuiera ma proposition… »

S’il dit craindre qu’un critère de bilinguisme trop exigeant ne nuise au recrutement de bons candidats, notamment dans certaines provinces, son homologue conservateur, Bernard Généreux, ironise sur la sortie de la ministre de la Justice.

« Il est évident que quelqu’un de bilingue doit comprendre et parler la langue! Je ne comprends pas vraiment la définition du gouvernement, mais j’imagine que cela va les aider dans leur recrutement. Je pense que le bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada est souhaitable, mais je comprends que cela soit difficile à atteindre et je pourrais vivre avec si ce n’est pas inscrit dans une loi. »

Invitée à réagir, la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada a publié une lettre ouverte, lundi 22 août, signée de sa présidente Sylviane Lanthier, dans laquelle on peut lire : « Devant le plus haut tribunal du pays, il est inadmissible que les neuf juges ne soient pas tous et toutes capables de traiter les causes dans l’une ou l’autre des deux langues officielles du pays sans avoir recours à des traductions ou services d’interprétation. À notre avis, un juge est effectivement bilingue lorsqu’il est en mesure de comprendre les deux langues officielles du Canada, ce qui implique qu’il puisse lire, saisir le contenu à l’oral et s’exprimer en français et en anglais. Car comment l’accès à la justice peut-il être égal si la Cour peut s’exprimer en anglais, mais pas en français? »

La FCFA souhaite que le Comité de nominations et/ou le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes s’assurent que les candidatures qui seront recommandées au premier ministre soient effectivement bilingues. L’organisme porte-parole des francophones en contexte minoritaire rappelle également son appui au projet de loi de M. Choquette.

« Il est essentiel que cette nouvelle exigence soit enchâssée dans une loi afin d’assurer sa pérennité. »