Immigration francophone ou désillusion

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[ANALYSE]

L’ancienne présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA), Marie-France Kenny, avait une formule bien à elle pour décrire l’urgence d’agir sur le dossier de l’immigration francophone : « il est minuit moins une. »  Force est de constater que l’Ontario n’a pas la même notion du temps.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

Un an et demi après avoir dévoilé une cible ambitieuse de 5 % d’immigrants francophones dans la province, le gouvernement de Kathleen Wynne n’a toujours pas livré les outils pour atteindre son objectif. Le comité d’experts mandaté pour trouver des solutions n’a pas encore donné son rapport. C’est fâcheux.

Comme sur beaucoup d’enjeux, la ministre déléguée aux Affaires francophones, Marie-France Lalonde, veut avant tout rassurer.

De tous les dossiers franco-ontariens, l’immigration est pourtant le plus urgent de tous. D’une, parce que le rouleau-compresseur de l’assimilation continue de faire des ravages. Les francophones de l’Ontario sont certes 611 500, soit une proportion de 4,4 % dans la province, mais en valeur relative, on parle même d’un recul.

D’autre part, les compteurs sont au rouge. Pour Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), il y’aurait environ 1,6 % d’immigrants francophones en Ontario en 2014. Un chiffre de 2,2 % si l’on en croit l’Office des Affaires francophones (OAF). Des données en tout cas en baisse par rapport aux années antérieures. De quoi voir la cible fixée comme une parfaite illusion.

Ottawa-Vanier, longtemps considéré comme un bastion francophone, illustre les difficultés de la francophonie. Et dans la campagne de l’élection partielle, le candidat progressiste-conservateur, André Marin, a pris la balle au bond en souhaitant que l’Ontario s’aligne sur le Manitoba avec une cible d’immigration francophone de 7 %.

Une intention louable, même si c’est comparer une cible à une baguette magique. Actuellement, le Manitoba avoisine aussi les 2 % en la matière.

En réalité, la marge de manœuvre du gouvernement est faible pour corriger un phénomène enclenché depuis plusieurs décennies : les nouveaux arrivants hors-Québec, ne possédant ni l’anglais et le français  comme langue maternelle, se tournent naturellement vers la langue de Shakespeare.

Contrairement à l’idée reçue, les anglophones de langue maternelle sont aussi de moins en moins nombreux en Ontario et dans le reste du Canada. Mais le réservoir de l’immigration hispanophone, chinoise ou indienne, fournit à la majorité linguistique une position dominante permanente.

Sans compter que l’Ontario n’a pas les coudées franches du Québec quant à la sélection de ses immigrants, et reste tributaire du gouvernement fédéral. Le gouvernement de Stephen Harper avait durci les critères d’entrée pour les immigrants. Justin Trudeau ne les a toujours pas desserrés.

Alors que faire? La piste d’étudiants internationaux africains, belges ou français est bien sûr une opportunité intéressante, à condition d’offrir à ces jeunes de réelles opportunités une fois la graduation. C’est aussi dans ce contexte que la création d’une université franco-ontarienne prend tout son sens.

Autre piste de solution : empêcher les risques d’assimilation de ces immigrants francophones. Comment? En donnant à un nouvel arrivant les multiples renseignements et opportunités de vivre en français en Ontario. Car l’installation dans une nouvelle province ne devrait pas se limiter à l’obtention d’un permis de conduire ou d’une carte santé en guise de documents.

Le 26 novembre, l’Ontario saura si elle obtient son statut d’observateur au sein de lOrganisation internationale de la Francophonie (OIF). Un feu vert de l’institution pourrait justement permettre à la province d’afficher mieux sa francophonie dans les pays où grandissent les futurs immigrants du Canada.

Si rien de tout cela n’est fait, la survie des Franco-Ontariens s’en trouverait définitivement menacée. Et le « minuit » de Mme Kenny prendrait donc tout son sens.

Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit le 12 novembre