Front commun pour l’avenir des médias francophones

Archives #ONfr

OTTAWA – Les représentants des médias communautaires francophones hors Québec sont venus plaider leur cause devant le Comité permanent du Patrimoine canadien, mardi 8 mars. Alors que les députés travaillent sur une étude sur les médias et les communautés locales, ils ont suggéré la mise en place de nouvelles sources de financement pour les médias des communautés de langues officielles en situation minoritaire.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

De 2006 à 2013, les journaux communautaires francophones hors Québec ont perdu 1,47 million $ en revenus publicitaires issus du gouvernement fédéral. Du côté des radios, la situation n’est guère plus enviable avec une enveloppe actuelle de 110000$ en publicités fédérales, à partager entre les 27 radios membres de l’Alliance des radios communautaires (ARC) du Canada, contre 750000 $ en 2009.

Combinée aux nouvelles formules des programmes d’Aide aux éditeurs ainsi que du Fonds du Canada pour les périodiques pour la presse écrite, la situation est peu reluisante pour les médias francophones en contexte minoritaire, selon ses représentants.

Évoluant dans un marché difficile, de par leur situation minoritaire et leur mandat particulier, les médias communautaires francophones ne peuvent compter sur le secteur privé pour combler leur déficit, expliquent-ils.

Pari numérique

La raison de cette nouvelle réalité : le pari numérique opéré par le gouvernement qui a conduit les ministères et agences du pallier fédéral à privilégier la publicité sur Internet et à la télévision au détriment des médias dits « traditionnels ».

« C’est d’autant plus incompréhensible que lors de la crise du H1N1, en 2009, le gouvernement s’est servi des médias communautaires pour informer la population des dangers de la grippe, en reconnaissant qu’il s’agissait de la meilleure façon de rejoindre tout le monde et de les informer », indique le président de l’Association de la presse francophone (APF), Francis Sonier.

L’APF représente 22 journaux dans huit provinces et deux territoires.

Pour M. Sonier, comme pour son homologue de l’ARC, François Coté, le numérique a beau être incontournable, il doit être vu comme un complément au travail de ses membres, et non comme un remplaçant.

« Beaucoup de communautés n’ont pas accès à l’internet haute vitesse. De plus, il ne faut pas oublier qui produit l’information diffusée sur les médias numériques : ce sont souvent les médias communautaires. Pourtant, sur le site de mon journal (L’Acadie Nouvelle – ndlr), je n’ai pas eu de transfert des publicités fédérales du papier vers le numérique. »

Selon la présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, Sylviane Lanthier, les médias communautaires ont une importance capitale pour l’avenir des francophones hors Québec, comme elle l’a expliqué aux membres du Comité permanent du Patrimoine canadien.

« Développés par et pour nos communautés, nos journaux et radios communautaires sont les seuls à raconter la francophonie telle qu’elle se vit au quotidien dans diverses régions du pays. »

La FCFA est venue prêtée main forte à l’APF et à l’ARC du Canada afin de convaincre les élus fédéraux d’intervenir.

Outre la mise en place d’un programme d’appui aux médias minoritaires à hauteur de 1% du budget de la Société Radio-Canada et le retour d’un niveau de revenus publicitaires conséquent souhaités par les trois intervenants, l’APF voudrait également que ses membres puissent bénéficier de tarifs préférentiels, comme l’industrie du livre auprès de Postes Canada, afin de compenser les défis de distribution dans des territoires souvent très étendus.

Les médias souffrent

La situation actuelle met en péril l’avenir de beaucoup de ces médias et radios, expliquent Mme Lanthier, bien placée pour connaître la situation ayant été elle-même rédactrice en chef de l’hebdomadaire franco-manitobain, La Liberté.

« Aujourd’hui, nos médias souffrent! »

Mme Lanthier rappelle la disparition, en 2015, de la version papier de l’hebdomadaire franco-ontarien, L’Express Ottawa, et les difficultés du journal fransaskois, L’Eau Vive, qui reprendra finalement son impression papier cette semaine, après une interruption de plusieurs mois.

Du côté des radios, l’ARC indique que trois de ses membres n’ont plus de salarié, que cinq d’entre elles n’ont qu’un employé à mi-temps et que quatre autres n’emploient qu’une seule personne.

« Combien de fois avons-nous entendu dire que nos médias communautaires de la langue française sont de parfaits indicateurs de vitalité linguistique francophone au Canada? Sachez que ces indicateurs de vitalité linguistique sont de plus en plus fragiles et que c’est essentiellement par manque de ressources financières », a lancé M. Coté.

Pourtant, que ce soit du côté des radios ou de la presse écrite, l’ARC et l’APF insistent sur une pertinence qui ne se dément pas.

« Nous avons fait une étude sur les médias communautaires avec Patrimoine canadien qui nous a montré que les journaux communautaires bénéficient d’un lectorat moyen qui va de 54% à 83%, selon la région. 71% des communautés considèrent leur journal comme important et autant l’apprécient », a illustré M. Sonier.

« La radio, c’est le média de proximité par excellence! Aucun média numérique ne rejoint autant nos communautés », a emboîté M. Coté.

L’ARC souhaiterait un programme permettant de dégager une enveloppe annuelle de 40000 à 60000 $ par année pour chacun de ses membres, à l’image du fonds mis en place par le Québec pour ss médias communautaires.

Le bon moment

À l’issue de la rencontre, le président de l’APF se montrait satisfait d’avoir pu faire entendre ses arguments.

« Ça faisait des années qu’on attendait ce genre de contact là, direct. Ça a été difficile ces dernières années de se faire entendre. Aujourd’hui, les députés nous ont écoutés avec intérêt et on applaudit leur démarche. Je pense qu’on a réussi à présenter des points valables. »

Le président de l’ARC reconnaît que les demandes sont nombreuses auprès du nouveau gouvernement.

« La file est longue pour les organismes qui demandent de l’argent. Mais je crois que le moment est bon. Ça fait au moins 10 ans qu’on essaie d’avoir un fonds comme celui-ci pour les médias communautaires. Aujourd’hui, je pense que tout est en place pour que ça puisse aboutir. »

M. Sonier se montre optimiste.

« Ce que nous demandons, ce ne sont pas des fortunes! Et ils en auront beaucoup pour leur argent avec les médias communautaires. »

Le comité permanent du Patrimoine canadien prévoit au moins dix rencontres avant de rendre son rapport sur les médias et les communautés locales.