Francophonie internationale : un écran de fumée?

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[CHRONIQUE]

Annoncée en grande pompe en novembre dernier, l’adhésion de l’Ontario à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) comme membre observateur a fait couler beaucoup d’encre. Rejoignant le Québec (1971) et le Nouveau-Brunswick (1977) à titre de gouvernement participant, ce geste a été salué unanimement, tant à Queen’s Park que dans la communauté franco-ontarienne.

MARC-ANDRÉ GAGNON
Chroniqueur invité
@marca_gagnon

Or, près de six mois plus tard (une éternité en politique selon l’expression de l’ancien premier ministre québécois Robert Bourassa), peu de détails ont été dévoilés sur le rôle réel qu’entend y jouer la province.

Soulignant les opportunités en matière de commerce ou d’immigration, la ministre responsable des Affaires francophones, Marie-France Lalonde, est depuis avare de commentaires sur la stratégie ontarienne. On ignore toujours comment la province bénéficiera de l’OIF pour renforcer sa politique linguistique, ses initiatives culturelles ou éducatives — pour ne nommer que ces secteurs clés.

À l’inverse, il n’est pas clair comment l’Ontario contribuera aux programmes cibles de l’organisation. Le rayon d’action de l’OIF dépasse largement le domaine linguistique pour embrasser des enjeux tels que le développement durable et les droits de l’Homme. Par exemple, le gouvernement québécois y est engagé depuis 1999 pour promouvoir la diversité culturelle. Comment l’Ontario entend-il utiliser son pouvoir d’influence et sa propre expérience en matière d’affaires francophones autour de la table?

Il ne fait nul doute que le premier objectif poursuivi par l’Ontario en est un de reconnaissance sur la scène internationale. Or, si elle souhaite tirer davantage de cette adhésion, cela exige une politique globale. Ceux qui avaient espoir que le gouvernement provincial y consacre des sommes dans son dernier budget sont aujourd’hui déçus.

En fait, on peut même se demander si tout cela n’est qu’un écran de fumée. Un autre de ces gestes symboliques si typique de l’administration Wynne. La question est légitime si on se penche sur l’historique du dossier.

Une communauté de langue et de culture

La Francophonie mondiale (comme entité politique) est relativement récente et prend racine au cours des années 1960 à la faveur des liens tissés entre les États francophones. C’est à ce moment qu’apparaissent ses premières institutions, dont l’Association internationale des parlementaires de langue française (1967) et l’Agence de coopération culturelle et technique (1970), l’ancêtre de l’OIF.

Au Canada, les gouvernements de Québec et d’Ottawa s’intéressèrent particulièrement à la question allant jusqu’à développer leurs propres politiques étrangères en la matière.

Toutefois, au cours des années 1970, ce n’est pas l’État ontarien, mais des acteurs de la société civile qui se mobilisent pour donner corps à ce nouvel espace international linguistique et culturel. Loin d’être coupé de ce processus, l’Ontario français y participe pleinement. À ce moment, le mouvement Richelieu basé à Ottawa s’internationalise. En 1973, il est d’ailleurs reconnu comme organisme collaborateur de l’Agence de coopération culturelle et technique.

De son côté, l’ACFO provinciale prend part, dès la fin des années 1970, aux travaux de la Conférence des peuples de langue française. Cet organisme européen regroupe des mouvements associatifs de part et d’autre de l’Atlantique militant pour une plus grande autonomie des minorités francophones au sein des États fédérés tels que le Canada, la Belgique ou la Suisse. Ici, la Francophonie est perçue comme un espace contestataire au moment où sont mis en cause les différents régimes linguistiques de ces pays. Le contexte international favorise aussi ce regroupement; le Jura obtient son autonomie cantonale en 1978 et le Québec se dirige alors vers son premier référendum sur la souveraineté.

Bien que ces deux organismes issus de l’Ontario français, le Richelieu et l’ACFO, ne participent pas à une même définition de la francophonie, on peut tout de même dire que les questions culturelles et linguistiques forment la base de leur engagement. Pour ce qui est de l’Ontario, il faut attendre le tournant des années 2000 pour que se manifeste un certain intérêt à venir grossir les rangs de la francophonie mondiale.

« L’Ontario a le pied dans la porte de la francophonie »

Ce titre du journal Le Droit a de quoi faire sourire aujourd’hui. C’était en 2002. Le gouvernement conservateur avait dépêché Jean-Marc Lalonde (alors député dans l’opposition) à titre d’observateur au IXe Sommet de la francophonie, à Beyrouth. Selon lui, ce n’était qu’une question de temps avant que l’Ontario s’y joigne officiellement. Or, cette adhésion ne se formaliserait que 14 ans plus tard…

Pourtant, le député Lalonde avait raison d’être optimiste. Le réseau institutionnel — avec l’ACFO en tête — mobilise alors ses membres à propos de la représentation ontarienne à l’échelle internationale. Son président, Alcide Gour, estime que les Franco-Ontariens doivent être entendus à l’extérieur de la délégation canadienne afin de participer pleinement à la gouvernance de la Francophonie. À Ottawa, Jean Chrétien manifeste aussi des signes d’ouverture. Toutefois, les autorités ontariennes ne cherchent pas entreprendre le processus d’adhésion. Pour les progressistes-conservateurs, il est de la responsabilité du fédéral de parler au nom des Franco-Ontariens.

La situation est appelée à changer à la suite des élections de 2003. Celles-ci reclassent les troupes d’Ernie Eves sur les banquettes de l’opposition. Portés au pouvoir, les libéraux promettent l’adhésion à la francophonie internationale. En 2004, la ministre responsable des Affaires francophones, Madeleine Meilleur, réitère d’ailleurs cet engagement à Toronto. Si les astres semblent s’aligner, le dossier traîne en longueur et le contexte politique vient jouer un bien vilain tour aux libéraux provinciaux.

En 2006, Stephen Harper et le Parti conservateur du Canada sont appelés à former le gouvernement à Ottawa. Entre 2006 et 2015, les autorités ontariennes effectuent diverses démarches auprès de leurs homologues fédéraux, sans succès. Pourtant, cet accord entre les deux paliers est essentiel pour aller de l’avant en raison des règles d’adhésion à l’OIF.

Cette entente n’intervient qu’après l’élection du gouvernement de Justin Trudeau. Vous connaissez la suite.

Institutionnaliser la francophonie internationale

Pendant qu’ils en ont encore la chance, les libéraux peuvent influencer durablement la stratégie provinciale en matière de francophonie internationale.

Si ce n’est pas déjà fait, le cabinet de la ministre Lalonde devrait collaborer avec la haute fonction publique afin de former une expertise interne. On pourrait aisément imaginer un groupe de travail au sein de l’Office des affaires francophones chargé de mener divers dossiers et de faciliter leur traitement par d’autres ministères, dont celui du Commerce international.

Au contraire du Québec, l’Ontario ne jouit pas d’un ministère des relations internationales à proprement parler et ne possède pas une longue feuille de route en la matière, du moins en francophonie. Pourquoi ne pas profiter des liens privilégiés entre les administrations Couillard et Wynne pour renforcer la coopération sur ce front et donner plus de tonus à la Déclaration portant sur la francophonie canadienne, signée entre ces deux gouvernements en 2014.

Le gouvernement pourrait également mettre à profit l’expérience de la société civile franco-ontarienne en matière de francophonie internationale en organisant diverses consultations. Cet exercice aurait aussi le bénéfice de permettre aux autorités de prendre le pouls et de mesurer les attentes de la communauté envers son adhésion à l’OIF.

Un observateur attentif notera que le gouvernement bénéficie encore du temps avant le prochain Sommet de la francophonie en 2018. Néanmoins, pour que les opportunités en matière de jeunesse, d’immigration ou de développement économique se concrétisent, il faudra plus qu’une politique « à la va-comme-je-te-pousse ». Il faut imaginer l’Ontario français dans la durée.

Marc-André Gagnon est doctorant en histoire à l’Université de Guelph.

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