« Former les jeunes pour des emplois qui n’existent pas »

TORONTO – Un fossé important existe entre les attentes des jeunes qui étudient pour apprendre un métier et le marché du travail qui les attend, selon une nouvelle étude. Le défi est d’autant plus grand qu’il faut les former aujourd’hui pour les emplois de demain, plus technologiques et complexes.

ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg

« 65% des jeunes qui commencent l’école cette année, ils vont travailler dans des postes complètement différents de ce qui existe aujourd’hui », affirme Maxim Jean-Louis, président de Contact Nord, un organisme qui travaille à rendre accessible des programmes dans des communautés éloignées, dont plusieurs francophones.

M. Jean-Louis a présenté cette semaine un nouveau rapport, au nom de l’Alliance des Métiers spécialisés de l’Ontario, qui fait état des changements nécessaires pour aligner les acteurs de l’éducation, le monde du travail et les étudiants qui apprennent un métier.

Le rapport est sans équivoque : « L’apprentissage de métiers tel que pratiqué aujourd’hui ne produit plus le pipeline de gens qualifiés dont l’Ontario a besoin pour être une économie compétitive et efficiente », peut-on lire dans le document.

Et la situation risque de s’empirer au cours des prochaines années, selon M. Jean Louis. Il évoque la rapidité des changements technologiques qui font que plusieurs personnes sont actuellement formées pour des postes qui pourraient être en danger, d’ici quelques années.

Une réalité qui touche beaucoup les francophones

Laurie Rancourt travaille depuis plusieurs décennies au sein du réseau des collèges de l’Ontario, dont une quinzaine au collège francophone Boréal. « Citons le monde du camionnage, par exemple, où on parle de plus en plus d’automatisation. Dans un futur pas si lointain, on aura besoin de moins de camionneurs. Nous aurons plutôt besoin de personnes pour bâtir et réparer ces camions technologiques », fait-elle valoir. « La technologie change tellement rapidement, on a de la difficulté à s’imaginer quel sera le rôle futur de certains des travailleurs formés », complète celle qui est maintenant vice-présidente académique au Collègue Humber.Elle affirme que la situation actuelle touche beaucoup les francophones. « Les gros employeurs du Nord s’appuient sur les métiers, comme les mines, l’industrie de la construction, l’industrie du bois. C’est là que l’économie est active et c’est là que les francophones travaillent », souligne-t-elle, insistant sur l’importance pour eux d’être sensible à ces questionnements.

Les problèmes d’alignement du milieu de l’éducation et de celui du travail sont confirmés par la Chambre de commerce de l’Ontario, qui sonne l’alarme. « 82% de nos membres qui ont cherché à recruter un employé au cours des six derniers mois ont eu de la difficulté à en trouver. Le problème principal : la difficulté de trouver des candidats qui ont les bonnes compétences », a soutenu Richard Koroscil, président de l’organisme.

De nombreux acteurs interrogés par #ONfr font valoir qu’une partie du problème peut-être résolue en permettant aux travailleurs de changer de domaine plus facilement en attestant leurs compétences. « Actuellement, quelqu’un qui est soudeur et qui veut devenir plombier doit recommencer à zéro. Il faut plutôt un système qui atteste les compétences qu’il a déjà », affirme Mme Rancourt.

Même point de vue de la part de l’Alliance des Métiers spécialisés : « 50% des étudiants dans les programmes de métiers ne le terminent pas. Le système actuel est dépassé. Il date des années 70. Il faut miser sur les compétences. Quand une personne peut prouver sa compétence, on doit lui permettre d’avoir ses crédits », affirme son président, Joe Vaccaro, qui affirme que le système actuel est en train de « former les jeunes pour des emplois qui n’existent pas ».

Le gouvernement prêt à changer les choses

Deb Matthews, Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Formation professionnelle, affirme que les changements demandés sont entendus par son gouvernement. Il s’agit même de l’une de ses priorités, affirme-t-elle, même si elle admet que tout reste à faire.

« Il ne faut pas d’emplois sans gens. Et de gens sans emplois. On veut bien faire les choses. Notre économie en dépend. Il nous reste un an à notre mandat. Nous n’avons pas d’idées préconçues. Nous sommes en mode écoute », a-t-elle indiqué.