FCFA : 40 ans et toujours « pertinente »

Le premier président de la FCFA, anciennement FFHQ, Hubert Gauthier, jeudi 19 novembre. Benjamin Vachet

OTTAWA – La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada fête, cette année, son 40e anniversaire. Après quatre décennies parsemées de succès, mais aussi de revers, l’organisme porte-parole des francophones en milieu minoritaire n’en demeure pas moins pertinent, selon les avis recueillis par #ONfr.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

À la veille d’une décision aussi importante que celle de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Caron-Boutet, l’anniversaire de la FCFA prenait une importance d’autant plus symbolique, jeudi 19 novembre. Fondé en 1975, l’organisme porte-parole des francophones vivant en milieu minoritaire pouvait ainsi contempler avec humilité le fait que, 40 ans après sa création, la question des droits linguistiques reste encore susceptible d’être débattue devant les tribunaux.

« La FCFA a connu de nombreux défis, peu importe les présidences. Lors de mon mandat, c’était notamment l’abolition du Programme de contestation judiciaire, mais aussi de faire respecter la Loi sur les langues officielles », se rappelle Lise Routhier-Boudreau, présidente de 2007 à 2009.

Le respect de la Loi sur les langues officielles (LLO) fait partie des leitmotivs de la FCFA depuis sa création.

« Pour le 40e anniversaire de la LLO, en 2009, lorsque nous plaidions pour une nouvelle approche, nous ne faisions que répéter ce que nous disions déjà 10 ou 20 ans auparavant. C’est parfois frustrant de voir que ça n’avance pas comme on voudrait », reconnaît la Fransaskoise, Marie-France Kenny, présidente de 2009 à 2015.

Malgré ces problèmes récurrents, la FCFA a su devenir un interlocuteur respecté, selon le doctorant au département de science politique de l’Université de Montréal, Martin Normand, qui a étudié l’organisme dans son mémoire de maîtrise, Le développement en contexte, Quatre temps d’un débat au sein des communautés francophones minoritaires (1969-2009).

« La francophonie canadienne a besoin d’un porte-parole auprès des décideurs publics car le financement de plusieurs de ses organismes vient de là. Au fil du temps, la FCFA a réussi à bâtir sa légitimité et sa crédibilité auprès du gouvernement, c’est sans doute sa plus grande victoire. »

Un avis que partage la professeure de sociologie à l’Université de Moncton, Michelle Landry : « La communauté francophone hors Québec a besoin d’une voix car le Québec a parfois des intérêts divergents de ceux des communautés francophones en situation minoritaire. »

Premier président de la FCFA, à l’époque appelée Fédération des francophones hors-Québec, entre 1975 et 1976, le Franco-Manitobain, Hubert Gauthier, se souvient : « On sentait que les Québécois avaient un autre agenda et qu’il n’y avait pas vraiment de place pour nous. Quelque part, nous pouvons les remercier car c’est grâce à eux que nous avons commencé à nous regrouper et à nous parler. »

Comme le disait le vice-président, région Ouest et Nord, de la FCFA, Michel Chartier, en 2001 : « Lorsqu’un groupe se sent attaqué, il s’organise. Il se mobilise. Les gens se serrent les coudes ».

Un discours qui évolue

Composée de 21 membres, soit 12 associations francophones porte-parole provinciales et territoriales et 9 organismes nationaux représentant différents secteurs d’activités, la FCFA a vu passer des gouvernements plus ou moins sensibles à la question des langues officielles.

« La FCFA a eu plus de complicité avec certains gouvernements, ce qui ne veut pas dire qu’elle est plus proche d’un parti. Il y a eu des périodes plus favorables, notamment dans les années où l’unité nationale était menacée par la situation au Québec. À l’époque le gouvernement fédéral avait besoin de mobiliser les francophones hors Québec. Ce n’est pas pour rien qu’il a financé la création de l’organisme en 1975, alors que le souverainisme prenait de l’ampleur au Québec », explique Mme Landry.

Dépendante du financement fédéral, comme la majorité des organismes francophones en milieu minoritaire, la FCFA a dû adapter son discours et son approche au gré de l’environnement politique, poursuit la professeure de sociologie.

« Il y a eu une période durant laquelle la FCFA a été beaucoup plus revendicatrice, dans les années 70, avec de véritables manifestes, comme Les héritiers de Lord Durham, en 1977, Deux poids, deux mesures, en 1978, et Pour ne plus être sans pays, en 1979. Progressivement, sa manière de revendiquer a évolué. Désormais, les discussions sont davantage en coulisses et la FCFA fait moins de coups d’éclat. »

Les dernières années l’ont toutefois poussée à reprendre un ton un peu plus véhément, estime M. Normand.

« Le gouvernement Harper, moins ouvert aux questions linguistiques, a obligé la FCFA à durcir le ton sur certains enjeux, notamment lorsque l’organisme a rappelé que la LLO reste la loi la moins respectée du Canada. Mais son mode de financement reste un dilemme quant à sa marge de manœuvre car ses prises de décision peuvent avoir une incidence. »

Cette réalité a obligé la FCFA à apprendre à naviguer dans un tel contexte.

« Parfois, les grandes orientations du gouvernement deviennent les dossiers prioritaires pour les organismes. Mais comme il serait difficile pour eux de survivre sans aucun financement fédéral, c’est un compromis acceptable, d’autant que cela n’empêche pas de faire des gains pour la communauté », analyse Mme Landry.

Une capacité à concerter

Grâce à des initiatives comme le grand sommet de 2007, puis le forum des leaders, organisé annuellement, la FCFA a réussi à asseoir son rôle de représentante de la communauté francophone en situation minoritaire, assure la professeure à l’Université de Moncton.

« La FCFA joue bien son rôle de concertation de la communauté, ce qui renforce son rôle de porte-parole. »

La présidente actuelle de l’organisme, Sylviane Lanthier, reconnaît que cela reste un défi.

« Ce n’est pas toujours facile d’avoir une cohésion nationale et mon souhait pour le 40e anniversaire de la FCFA serait que les francophones soient capables de parler d’une seule voix pour exprimer leurs aspirations. Nous avons fait des progrès, mais je pense que nous aurions encore plus de force si nous parlions toujours d’une seule voix. »

Au moment de souffler les 40 bougies de l’organisme, Mme Kenny n’émet  pour sa part qu’un seul souhait : la disparition de la FCFA.

« J’aimerais que la FCFA ne soit plus nécessaire! », sourit-elle. « Car cela signifierait que la francophonie est un acquis et que les francophones hors Québec n’ont plus à se justifier pour vivre en français. Malheureusement, je ne pense pas vivre assez longtemps pour voir ça. »

Mme Lanthier ne croit pas qu’un tel jour arrivera : « Nous allons toujours devoir nous battre, pas uniquement pour régler des problèmes, mais simplement pour poursuivre le développement de nos communautés ».

À court terme, la FCFA devra d’abord se battre pour se faire connaître des nouveaux élus et notamment des ministres clés, comme celle du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, venue assister à la soirée du 40e anniversaire, à Ottawa. En entrevue avec #ONfr, cette dernière indique qu’elle commence à prendre connaissance des dossiers.

« J’ai eu l’occasion de rencontrer la FCFA brièvement lorsque je suis allée à Winnipeg, la semaine dernière. Ça fait 14 jours que je suis ministre du Patrimoine canadien, mais rapidement la question a été portée à mon attention et j’y accorde beaucoup d’intérêt. La FCFA peut être un partenaire pour s’assurer qu’on respecte les droits des communautés francophones et acadienne et la Loi sur les langues officielles, mais aussi pour développer la francophonie canadienne. »