État de ma nation

L’Acadie est d’abord et avant tout une diaspora qui ne s’arrête pas aux frontières géographiques des Maritimes et ne se limite pas à la langue française, juge la chroniqueuse Céleste Godin. Courtoisie, Céleste Godin

[CHRONIQUE]

Une chronique dans le cadre du 15 août, Fête nationale des Acadiens, aurait pu porter sur l’acte révolutionnaire de fêter un peuple qui a frôlé de près sa mort ou sur la philosophie de réclamer son existence un tintamarre à la fois. Mais ma nation mérite qu’on en parle de façon critique, nuancée et candide. Voici l’État de ma nation, telle que je la vois en 2016.

CÉLESTE GODIN
Chroniqueuse invitée
@haligeenne

Diaspora

Le mot « diaspora » est trop souvent absent de notre discours et de notre idéologie. On l’a mis de côté pour parler de projets politiques, de droits linguistiques et de dynamiques territoriales. Mais l’Acadie est d’abord et avant tout une diaspora qui ne s’arrête pas aux frontières géographiques des Maritimes et ne se limite pas à la langue française.

Se connaître

Les Acadiens se connaissent mal. Rares sont ceux qui ont mis les pieds dans toutes les régions où l’Acadie est vivante aujourd’hui. La dispersion dans des petites régions éloignées les unes des autres, les frontières provinciales et nationales, la culture souvent vécue dans l’intimité familiale, et l’absence d’un nombre d’espaces dans notre conscience collective font de nous des cousins trop éloignés pour bien se connaître. Notre perception de notre propre peuple s’appuie trop souvent sur les stéréotypes et l’ignorance.

Le Chiac

Une discussion interminable sur nos accents monopolise le débat public. Il y a de l’espoir que l’intervention récente de Radio Radio sur la question aidera à changer de sujet. L’obsession pancanadienne autour du Chiac est particulièrement réductrice et énergivore. Une seule région utilise ce parler, et son statut de polémique ubiquitaire obscurcit la présence des autres dans la conscience collective. Le débat a très peu évolué depuis le documentaire Éloge du Chiac, réalisé en 1969. Il serait temps qu’on écoute ce que les Acadiens disent, au lieu d’être distraits comme des enfants par nos accents.

Un schisme

Le schisme entre le peuple et ses institutions porte-parole continue de croître. L’entonnoir organisationnel de la francophonie canadienne encombre notre leadership de réunions innombrables, de colloques et de forums aux résultats ambigus, d’assemblées annuelles peu fréquentées, et d’un quémandage gouvernemental accablé de paperasse interminable. Ce travail, exigeant et bien intentionné, emprisonne un montant considérable d’énergie à l’intérieur de l’organigramme au lieu d’être canalisé vers un mouvement rassembleur qui a un impact concret sur les citoyens.

Le peuple, peu interpellé par les réunions, le code Morin et la « procédurite », brille par son absence, et de là, viennent les clichés du « manque de relève » et des TLM (toujours les mêmes). Nos leaders se tiennent beaucoup plus avec leurs homologues qu’avec le peuple, et il est donc difficile pour eux d’assurer la pertinence de leurs initiatives.

Alphabétisation

Le développement de l’Acadie est gravement handicapé par un problème d’alphabétisation, dont près de deux tiers du peuple souffrent. Au-delà des défis quotidiens évidents, cette incapacité de lire plus que des courts textes au vocabulaire simple nous empêche d’acquérir les connaissances qu’il faut pour réellement comprendre notre propre vécu.

Il est difficile pour un peuple d’imaginer et de pleinement contribuer à du changement sociétal quand seulement 7% de la population est capable de lire et de comprendre des textes qui traitent de sujets complexes. C’est presque impossible de trouver sa place dans un monde dont on ne peut pas saisir les nuances.

Le malaise de note patrie

Notre illustre fierté aux célébrations dynamiques voile les malaises de notre patrie. Sous notre devise, L’union fait la force, se cache la réalité d’une patrie dispersée au vécu très varié et d’un peuple qui vit plus l’isolement régional que l’appartenance à une collectivité conceptuelle. Notre image de résilients en harmonie solidaire dissimule les énormes déséquilibres entre nous, allant du niveau d’accès à notre propre culture à la vitalité francophone de nos espaces. Si nos complexes d’infériorité prennent un repos bien mérité autour de notre fête nationale, ils reviendront en forme une fois la fête terminée. On ne peut pas bâtir un avenir qu’avec des drapeaux, des tintamarres et des déclarations de fraternité. Ce n’est pas assez d’être fiers, peu importe notre expertise dans le domaine. Il ne faut pas non plus tomber dans le piège de s’auto-enchanter de notre vitalité festive et fermer la boucle en devenant fiers d’être fiers.

Si nous avons eu le courage de nous affirmer et de nous afficher après avoir survécu à un nettoyage ethnique, une dispersion dévastatrice, et une assimilation linguistique et culturelle massive, nous devons maintenant trouver le courage de faire remonter nos défis à la surface et de les affronter collectivement.

Ne nous limitons pas à nous tenir par la main sous notre drapeau étoilé, tirons-nous plutôt vers le haut en visant le firmament infini de notre potentiel.

Note : Les opinions exprimées dans les chroniques publiées sur #ONfr n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.