Des voix dans le désert 

Crédit photo: Étienne Fortin-Gauthier

[LETTRE OUVERTE]

En réponse à Joel Belliveau.

Je ne prétends pas réagir au nom de mes collègues du Consortium des universités de la francophonie ontarienne (CUFO), que je préside actuellement, mais puisque je suis interpellé, je me permets de vous répondre dans un esprit de dialogue. 

DONALD IPPERCIEL

Vous attribuez un mutisme aux dirigeants des institutions universitaires francophones et bilingues. Et pourtant, nous avons participé aux États généraux sur l’éducation postsecondaire de langue française, nous avons pris le temps de faire part de notre position aux médias, aux groupes de pression, à la communauté, et ce, à de multiples occasions. Le problème n’en est pas un de mutisme, mais de refus par plusieurs d’entendre et d’accepter ce que nous avons à leur dire. Et pourquoi ce refus? Parce que les propos que nous tenons ne répondent pas aux revendications, toutes légitimes qu’elles soient, pour une université « par et pour » les francophones de l’Ontario, symbole d’une réalisation de soi complète d’un peuple, avec toute la charge affective que cela peut comporter.

Le discours des universitaires de la francophonie est en général de nature pragmatique alors que celui de certains individus et groupes communautaires a tendance à être plus de l’ordre du symbolique, du rêve, des passions.

L’Université franco-ontarienne (UFO) est un projet fort louable et cohérent avec la progression sociétale des communautés francophones de l’Ontario et avec le rôle des institutions francophones dans l’expression et dans l’affirmation de son identité culturelle.

Mais entre le symbolisme et le pragmatisme, nous avons opté pour le second.

Le financement, le nerf de la guerre

Nous savons qu’un conseil des gouverneurs francophone n’entraînera pas un plus grand nombre de programmes en français. Non seulement le conseil des gouverneurs ne joue aucun rôle dans l’approbation et la création des programmes, mais de plus, toute intrusion des gouverneurs dans les questions académiques soulèverait à juste titre un tollé général de la part des universitaires.

Nous savons que l’accroissement de l’accès aux programmes postsecondaires en français passe par des subventions additionnelles du gouvernement, comme cela s’est fait à Glendon, qui a pu ajouter cinq nouveaux programmes francophones et bilingues grâce à un appui financier du ministère de la Formation et des Collèges et Universités. Là est le nerf de la guerre, et pourtant, certains préfèrent insister sur les questions de gouvernance.

Si une prise en main « par et pour » les francophones devait se réaliser, les efforts devraient être concentrés sur les mécanismes d’octroi de fonds et l’augmentation du financement servant au développement de nouveaux programmes en français.

Nous savons, grâce à des recherches et des statistiques relativement récentes (notamment celles de chercheurs tels que le professeur Raymond Mougeon), que les élèves francophones du Centre-Sud-Ouest, de Toronto en particulier, ne désirent pas étudier dans une université unilingue francophone, préférant une institution bilingue, et pourtant, plusieurs insistent toujours pour que Toronto accueille l’UFO.

Nous savons que le bilinguisme n’est ni perçu ni vécu de la même façon à Toronto qu’il ne l’est dans des régions où la concentration des francophones est plus forte. Le bilinguisme à Toronto n’est pas simplement une question instrumentale, mais bien d’identité. La majorité des jeunes Franco-Ontariens de la région du Centre-Sud-Ouest s’identifient principalement comme bilingues.

Place à l’amélioration

Pour réaliser cet objectif d’un accès accru aux programmes universitaires de langue française, le CUFO a établi un cadre de collaboration entre ses institutions et a multiplié les échanges avec différentes parties prenantes. Le Conseil pour l’articulation et le transfert – Ontario (CATON) a établi un conseil consultatif francophone et appuyé financièrement les institutions postsecondaires francophones pour développer une stratégie de passerelles et de transferts entre les institutions francophones et bilingues, et ainsi mieux coordonner les efforts des établissements dans l’élargissement de l’offre de programmes postsecondaires en langue française.
Du côté du Collège universitaire Glendon, nous avons mis en œuvre une pratique de bilinguisme asymétrique, selon laquelle le français a préséance dans les interactions publiques sur le campus. Nous avons créé des espaces exclusivement francophones, par exemple, dans la résidence, et investissons dans le renforcement de la capacité de notre Salon francophone. Dans le cadre de la mise en œuvre de notre politique d’aménagement linguistique, l’Université York a établi un poste permanent de traducteur, qui a pour mission de traduire tous les documents pertinents de l’Université, y compris les messages et les sites Web pertinents pour nos étudiants. En matière de recrutement de professeurs et d’employés de soutien, nous en sommes maintenant à une majorité de francophones, bien que tous doivent être bilingues. Il n’en reste pas moins que, malgré les efforts colossaux qui ont été déployés pour faire avancer le fait français à Glendon, il y a évidemment place à l’amélioration.

Deux visions incompatibles à court et moyen terme

Pour ce qui est de la création d’une université franco-ontarienne, j’ai souvent fait valoir dans plusieurs entrevues, publiques et privées, que deux visées distinctes cohabitent dans le projet de l’UFO : premièrement, un accès accru à des programmes universitaires de qualité en français; et deuxièmement, la création d’une université par et pour les francophones.
La première est pragmatique, la seconde plutôt symbolique. La première est une solution à un constat d’insuffisance, la seconde est un désir qui suscite les passions. Or, les deux visées ne sont pas nécessairement compatibles, certainement pas à court et à moyen terme.

L’établissement d’une université francophone dans le Centre-Sud-Ouest sera forcément de petite taille, et l’on sait qu’une petite université ne peut pas offrir un grand nombre de programmes et de services. Le projet de l’UFO privilégie donc davantage le deuxième objectif, celui symbolique d’une université par et pour les francophones, au détriment du premier, celui d’un accès accru à des programmes en français pour les francophones. C’est là que se situe la différence entre la position des universités du CUFO et celle de certains groupes communautaires. Glendon et les autres universités bilingues et francophones s’acharnent à améliorer le sort des francophones de l’Ontario par la solution qui nous semble la plus efficace, c’est-à-dire l’amélioration de l’accès aux programmes et services en français.

N’oublions pas qu’en fin de compte, nous poursuivons tous un même objectif, à savoir l’épanouissement complet des communautés francophones dans toutes les sphères de la vie publique et privée, en particulier au moyen d’une formation universitaire de la plus haute qualité. Comme c’est normalement le cas dans toute société, les perspectives diffèrent quant à la façon de réaliser cet idéal. Le point de vue majoritaire des universitaires est que notre objectif commun peut être réalisé de la meilleure façon possible en consolidant et en bâtissant sur les acquis.
Certes, cette approche pragmatique ne viendra pas chercher les gens dans leurs tripes, mais elle est, selon moi, la meilleure façon de réaliser notre objectif commun au profit des étudiantes et des étudiants francophones de l’Ontario.

Donald Ipperciel est Principal du Collège universitaire Glendon de l’Université York, à Toronto. 

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