Des « fausses menaces » d’Hydro One font fulminer l’Ombudsman

Les bureaux d'Hydro One au centre-ville de Toronto. Crédit photo: Archives, #ONfr

TORONTO – Des lettres de « fausses menaces » d’interruption de service qu’envoie le distributeur d’électricité Hydro One aux mauvais payeurs « depuis plusieurs années » durant les mois d’hiver font fulminer l’Ombudsman de l’Ontario.

FRANÇOIS PIERRE DUFAULT
fpdufault@tfo.org | @fpdufault

Le bureau d’André Marin enquêtait déjà sur des milliers de plaintes par rapport à la facturation et au service à la clientèle chez Hydro One lorsqu’il s’est rendu compte de l’envoi de ces lettres de « fausses menaces ». Il aurait reçu, depuis le début de l’hiver, une centaine de plaintes additionnelles au sujet de ces avis de recouvrement peu orthodoxes.

« Hydro One a admis que ces lettres n’étaient que des menaces à la légère. On nous a dit que c’était une tactique pour encourager le paiement. Je crois que la plupart des gens choisiraient des termes beaucoup plus durs pour en parler », a pesté M. Marin devant la presse à Queen’s Park, le mercredi 11 mars.

Hydro One a pour politique de ne débrancher aucun abonné entre le 1er novembre et le 31 mars, une période qui correspond aux cinq mois les plus froids de l’année.

L’Ombudsman dit avoir donné une vingtaine de jours à Hydro One pour corriger le tir avant de faire une sortie dans les médias. L’agence provinciale a bel et bien modifié sa lettre, mais y ajoutant une simple condition météo à sa menace de débranchement.

« La deuxième lettre est pire que la première. Maintenant, les gens vont devoir regarder par la fenêtre pour savoir s’ils risquent ou non d’être débranchés », a ironisé M. Marin.

Problèmes de facturation

Ce qui ajoute à la frustration de l’Ombudsman, c’est que bon nombre des clients d’Hydro One visés par de « fausses menaces » de débranchement sont devenus des mauvais payeurs justement à cause de problèmes de facturation antérieurs chez le distributeur provincial. Certains abonnés n’ont pas reçu de facture d’électricité pendant plusieurs mois, pour ensuite recevoir une facture s’élevant parfois à quelques milliers de dollars.

« C’est vraiment une situation déplorable », a fustigé M. Marin. « Ces tactiques de coupe-gorges qui sont peut-être appropriées dans le secteur privé ne sont pas appropriées pour une société d’État en situation de quasi-monopole », a-t-il ajouté, qualifiant sans détour les gestes d’Hydro One d’« intimidation », voire d’« extorsion ».

Dans un communiqué émis peu après la sortie de l’Ombudsman, la direction d’Hydro One a réitéré que la société d’État provinciale ne procédait à aucun débranchement durant les mois d’hiver. Elle s’est aussi engagée à continuer à travailler avec le protecteur du citoyen « pour résoudre tous les problèmes mis de l’avant ».

« Nous revisitons maintenant l’ensemble de nos interactions avec les clients », a déclaré Carm Marcello, président et chef de la direction d’Hydro One, le 11 mars. « Dans la dernière année, nous avons restauré le niveau de service à notre centre d’appels et la performance de notre système de facturation à des niveaux plus élevés qu’avant la transition vers notre nouveau système de facturation, il y a deux ans. »

Rumeurs de privatisation

Or, cette dernière sortie de M. Marin à propos d’Hydro One intervient alors que le distributeur d’électricité fait l’objet de rumeurs persistantes de morcellement et de vente à des intérêts privés.

Le gouvernement libéral de Kathleen Wynne a promis d’investir 130 milliards $ sur dix ans dans l’infrastructure et les transports de l’Ontario. Une partie de cette somme doit provenir de l’optimisation ou la vente de biens publics, comme Hydro One.

« L’Ontario devrait garder un intérêt particulier (dans Hydro One) s’il y a un démantèlement dans le but d’une privatisation. Et c’est notre approche », a indiqué Bob Chiarelli, ministre l’Énergie, à sa sortie de la Législature, le 11 mars. « Aucune décision n’a encore été prise. Aucun acheteur potentiel n’a été identifié. C’est une situation ouverte à ce moment-ci. »

Du côté de l’opposition, l’inquiétude règne.

« Les libéraux ne feraient qu’utiliser l’argent (d’une privatisation) pour se sortir du gouffre financier », a opiné Jim Wilson, chef progressiste-conservateur par intérim. « Une fois qu’une telle transaction est complétée, c’est fini. Le bien public appartient à des intérêts privés. On ne peut pas le ravoir. »

« Ça m’inquiète », a confié la néo-démocrate France Gélinas à #ONfr. « J’ai vécu l’affaire ORNGE, dont les anciens gestionnaires privatisaient tout ce qu’ils voulaient cacher. Ils avaient même privatisé les ressources humaines. Qui est-ce qui privatise les ressources humaines? Ils l’avaient fait pour cacher leurs salaires. Ils utilisaient la privatisation pour ne plus être imputables ou transparents et ne plus avoir à rendre des comptes au gouvernement. »

Droit de regard

La privatisation même partielle d’Hydro One pourrait aussi ôter à l’Ombudsman un certain pouvoir de surveillance sur l’agence de transmission et de distribution d’électricité qui dessert presque tout l’Ontario rural. Une possibilité qui inquiète le principal intéressé, sans qui les problèmes de facturation de la société d’État au cours des deux dernières années n’auraient peut-être pas autant retenu l’attention du public.

« Si le gouvernement va de l’avant avec une privatisation d’Hydro One, j’espère au moins qu’il va songer à nous laisser un droit de regard », a avancé M. Marin à la presse.

« L’enjeu de la supervision par un agent du parlement provincial serait aussi traité », a fait savoir M. Chiarelli à #ONfr, ajoutant qu’en cas de privatisation, le contrôle des coûts de l’électricité reviendrait à la Commission de l’énergie de l’Ontario.

L’Ombudsman doit produire un rapport complet sur la situation chez Hydro One au cours des prochains mois. Un rapport qui « ne sera pas livré avec des fleurs », a-t-il précisé.