Consultations ou exercice de relations publiques?

Vraiment plus ouvertes ces consultations sur les langues officielles? Crédit image: Benjamin Vachet

OTTAWA – Les consultations pancanadiennes sur les langues officielles terminées, place à l’analyse pour la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, et son ministère, afin d’élaborer la prochaine Feuille de route pour les langues officielles 2018-2023. Mais des voix s’élèvent pour remettre en cause le processus.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

La ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, n’a de cesse de répéter que les consultations pancanadiennes sur les langues officielles ont été un succès de participation, d’ouverture et de transparence, n’hésitant pas à écorcher au passage le précédent exercice mené par les conservateurs en 2012.

Pourtant, le professeur à l’Université Simon Fraser de Vancouver, Rémi Léger, tempère l’analyse optimiste de la ministre.

« Comme dans le passé, ces consultations ont surtout été un exercice de relations publiques, avec seulement plus de photos et de tweets », juge M. Léger, qui a participé à la consultation de Vancouver, en septembre. « Ce sont les mêmes organismes qui sont invités et Patrimoine canadien sait déjà ce qu’ils vont dire puisqu’il leur demande de développer des plans pluriannuels avec leurs priorités et leur vision. »

Selon les chiffres de Patrimoine canadien, 22 tables rondes ont été organisées à travers le pays, dont six webdiffusées. Plus de 350 chefs de file et intervenants ont été entendus et le sondage en ligne a intéressé 6 400 personnes, soit plus du double de l’exercice précédent, alors que 90 mémoires ont été soumis.

Les données recueillies doivent permettre d’alimenter la réflexion de la ministre sur les principaux enjeux et les mesures auxquelles il faudra accorder la priorité dans la prochaine Feuille de route pour les langues officielles, sorte de patchwork de programmes visant la promotion des langues officielles et l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire.

« Le processus est vicié dès le départ car c’est Patrimoine canadien qui choisit les thèmes abordés et les participants. Mis à part pour les quelques webdiffusions, il était impossible de savoir ce qui se disait. Difficile dans ce contexte de prétendre que ce sont des consultations ouvertes et transparentes », remarque le stagiaire postdoctoral à la Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques de l’Université d’Ottawa, Martin Normand.

Une certaine lassitude

Le chercheur à l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques (ICRML), Éric Forgues, qui a participé à la consultation de Moncton avec son organisme, se montre un peu moins virulent.

« Ça a été utile pour rappeler la volonté d’autodétermination, de simplification administrative et de rattrapage en matière de financement, même si on sent parfois une certaine lassitude car ces messages ne sont pas toujours entendus au final. »

M. Forgues juge toutefois l’attitude du gouvernement encourageante.

« En 2007, les consultations avaient été menées par un consultant extérieur en la personne de Bernard Lord. La fois suivante, on avait peu vu le ministre Moore. Cette fois, la ministre Joly et son secrétaire parlementaire Randy Boissonnault ont participé et on sent qu’ils ont la volonté de faire une différence. Il faudra voir si cela se traduit concrètement. »

La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada reconnaît qu’il y a des progrès à faire, tout en se disant satisfaite du succès des consultations.

« Plusieurs consultations eu lieu l’été ce qui n’est pas idéal pour mobiliser. De plus, on pense que les organismes porte-paroles devraient pouvoir suggérer des noms de participants à inviter », explique Sylviane Lanthier.

Revoir le processus

Critiques, les universitaires interrogés ne militent pas pour une suppression pure et simple des consultations, mais davantage pour une révision du processus.

« Ce qui manque, ce sont des données probantes. On ne peut pas développer des politiques publiques sur la simple expérience personnelle de gens engagés dans la communauté », pense M. Léger.

M. Normand plaide pour sa part pour un élargissement des consultations.

« Il faudrait de vraies consultations où on laisse la parole aux communautés sans les encadrer avec des thèmes. De plus, il faudrait avoir plus d’intervenants. Si vraiment ce sont des consultations sur les langues officielles, il serait important d’inviter, par exemple, des représentants des provinces et les syndicats de la fonction publique, notamment. Avec le processus actuel, on fait porter le poids des langues officielles sur le dos des organismes de langue officielle en milieu minoritaire. »

À Moncton, M. Forgues suggère de revoir la façon de faire.

« Ce qu’il faudrait, c’est un dialogue continu avec le gouvernement qui permettrait surtout aux communautés de faire connaître leurs besoins et au gouvernement d’y répondre efficacement. On se demande parfois comment on peut mettre autant d’argent dans les communautés sans que cela n’ait d’effet. Quand on voit l’érosion du fait français au Canada, on se dit qu’il faut donner un bon coup de barre. »

Des pistes à étudier

Pour le chercheur à l’ICRML, il est donc important de mettre en place des indicateurs de progrès dans la prochaine Feuille de route, ainsi que des objectifs précis et mesurables, tout en donnant plus de place aux communautés.

Le risque, explique M. Normand, est de se retrouver avec une Feuille de route très semblable aux précédentes alors que des solutions innovatrices pourraient être essayées.

« On pourrait imaginer que le gouvernement donne une enveloppe à chaque communauté qui définirait elles-mêmes ses priorités, tout en rendant des comptes à Patrimoine canadien. Actuellement, on développe les mêmes programmes pour tout le monde alors qu’ils ne sont peut-être pas adaptés à toutes les réalités. »