Comment définir la francophonie canadienne?

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OTTAWA – Langue maternelle, première langue officielle parlée, capacité de s’exprimer en français… À quelle définition doit-on se référer quand on parle des francophones de l’extérieur du Québec?

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

« À Statistique Canada, nous ne donnons pas de définition unique de ce qu’est un francophone, car il n’y a pas de consensus », explique Jean-Pierre Corbeil, directeur adjoint, Programme du recensement de la population, à Statistique Canada.

Pour la politologue de la Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques de l’Université d’Ottawa, Linda Cardinal, le choix est politique, puisque du nombre de francophones découlent les programmes et enveloppes de financement qui leur seront consacrés par les gouvernements.

« La définition dépend du contexte. Pour une minorité, on va toujours essayer d’utiliser le nombre le plus avantageux. »

Ce choix stratégique conduit ainsi la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada à afficher fièrement, à la suite du dernier recensement, que 2,7 millions de personnes ont choisi le français dans neuf provinces et trois territoires. Un chiffre qui correspond au nombre de personnes qui ont une connaissance du français.

« En adoptant cette définition, on encourage celles et ceux qui veulent pratiquer leur français à le faire. C’est une définition plus inclusive qui laisse la possibilité à chacun de choisir sa langue officielle de service et qui est plus en adéquation avec l’idée de bâtir un Canada bilingue », défend le président de l’organisme, Jean Johnson.

À l’échelle internationale, l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) compte les francophones comme celles et ceux qui sont capables de soutenir une conversation en français.

622 340 Franco-Ontariens en 2016?

En Ontario, la province s’est dotée d’une définition inclusive de la francophonie (DIF) en 2009, jugée plus généreuse.

Selon cette définition, sont considérés comme francophones « les personnes pour lesquelles la langue maternelle est le français, de même que les personnes pour lesquelles la langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais, mais qui ont une bonne connaissance du français comme langue officielle et qui utilisent le français à la maison ».

L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) revendique donc de parler au nom de 611 500 Franco-Ontariens depuis 2011. Avec les chiffres du recensement de 2016, l’organisme représente désormais 622 340 personnes.

« La définition de l’Ontario est plus complète et plus représentative de la francophonie. Les gens en immersion, par exemple, veulent avoir plus d’occasions de parler en français et de démonter leur fierté », glisse le président de l’AFO, Carol Jolin.

Des faiblesses dans chaque définition

Dans cet éventail de définitions, aucune n’est exempte de critiques, note M. Corbeil.

« Dans la définition inclusive de l’Ontario, par exemple, on compte comme francophones celles et ceux qui déclarent avoir le français comme langue maternelle. Mais en 2011, à l’extérieur du Québec, on avait enregistré que 75 000 de ces personnes ne pouvaient plus soutenir une conversation en français. »

La langue maternelle reste pourtant une donnée pertinente pour témoigner de la vitalité d’une communauté, argumente Mme Cardinal.

« Les travaux de Rodrigue Landry [chercheur à l’Université de Moncton] ont montré que pour qu’une communauté continue d’exister, elle a besoin de locuteurs de langue maternelle, car ces derniers sont souvent plus portés à demander des services en français et à avoir une identité et un attachement forts qui vont assurer la pérennité de leur culture. »

Adopter la définition de l’OIF conduirait à oublier que les personnes qui connaissent le français ne se sentent pas forcément parties prenantes de la communauté, ni ne participent à sa vitalité ou vont demander des services dans cette langue, illustre M. Corbeil.

Se passer des nombres?

Jusque dans les années 80, le critère de la langue maternelle prévalait dans l’approche des gouvernements, explique le statisticien.

« Mais la société canadienne étant de plus en plus diversifiée, il a fallu ajouter des questions linguistiques pour tenir compte notamment de l’immigration internationale. Nous avons de plus en plus de citoyens dont la langue de convergence au Canada est le français, mais pour qui ce n’est pas la langue maternelle. »

Aujourd’hui, c’est souvent la première langue officielle parlée qui est utilisée pour déterminer le nombre de francophones qui justifie d’offrir les services en français à travers le pays.

Le projet de Loi S-209, piloté par la sénatrice Claudette Tardif, propose d’utiliser à l’échelle fédérale une définition plus inclusive, basée sur celle retenue par l’OIF.

De son côté, le gouvernement de Justin Trudeau a annoncé une révision des règlements entourant la Loi sur les langues officielles à l’automne 2016 qui pourrait conduire à modifier les critères retenus pour offrir des services en français.

« L’offre de services en français ne devrait pas être hypothéquée par les nombres. On n’a pas fait une Loi sur les langues officielles pour ensuite trouver tous les moyens possibles de ne pas l’appliquer » – Linda Cardinal, politologue

Pour M. Johnson, il serait peut-être temps de dépasser le simple critère des nombres.

« Si le gouvernement croit vraiment à la vision d’un Canada bilingue, il doit investir dans l’offre de services, peu importe les nombres. »

Une situation qui reste inquiétante

Une chose reste sûre, quelle que soit la définition choisie, le poids des francophones à l’extérieur du Québec a diminué de 2011 à 2016.

Les Canadiens de langue maternelle française hors Québec représentaient 3,5% en 2016, contre 3,8 % en 2011. Si on se fie au français comme première langue officielle parlée, le pourcentage est passé de 3,7 % à 3,6 % cinq ans plus tard.

En Ontario, si on se réfère au français comme première langue officielle parlée, le pourcentage est passé de 4,2 % à 4,1 %.

« Peu importe la définition, ce qui compte, c’est le poids démographique. Et de ce point de vue, la situation est inquiétante! », reconnaît M. Jolin.