Querelle de sexe…

Le marché By, à Ottawa, vers la fin du XIXième siècle.

[CHRONIQUE]
L’Institut canadien-français (ICF) d’Ottawa, un club social masculin vieux de plus de 160 ans, avait demandé l’an dernier à Ronald Caza de devenir président d’honneur à vie. La réponse du célèbre avocat était, heureusement, sans compromis : il fallait tenir un référendum sur l’adhésion des femmes au sein de l’organisation. Or, les membres ont refusé. De fait, le principal intéressé s’est désisté du poste de président honorifique.

SERGE MIVILLE
Chroniqueur invité
@Miville

L’ICF existe de longue date. Il a été fondé dans la foulée de la mouvance voyant des centaines de Canadiens français s’établir dans les alentours de Bytown (aujourd’hui Ottawa) et de Hull (aujourd’hui Gatineau).

Avec la décision en 1857 de la reine Victoria de faire de la Ville d’Ottawa la capitale de ce qu’allait devenir le Canada une décennie plus tard, l’Institut revigore d’esprit. La présence accrue de Canadiens français du Québec dans les rues d’Ottawa crée un engouement pour la culture. L’Institut se dote d’une bibliothèque et accueille des auteurs qui écrivent de la poésie dans leur temps morts, des gens comme Benjamin Sulte, pour ne nommer que lui. Aujourd’hui, l’Institut demeure plus ou moins un club social d’âge d’or où l’on peut jouer aux fléchettes entre gars en prenant un coup, se donnant bonne conscience avec des œuvres philanthropiques. Se renouvelant péniblement, elle perd de sa pertinence chaque jour.

Bref, victorienne d’origine et d’esprit, l’ICF demeure un centre pour la petite bourgeoisie et la petite élite masculine canadienne-française. Bien qu’il était habituel au XIXième siècle, pour des raisons de respectabilité et de normes sociales chez les classes aisées de refuser la membriété aux femmes, comme plusieurs autres organismes le faisaient d’ailleurs, incluant des syndicats de métiers, la pertinence de cette restriction au XXIième siècle est douteuse.

 

Un sexisme injustifiable

Fidèle à sa tradition victorienne et de bonne morale, le prétendant à la membriété à l’Institut canadien-français d’Ottawa doit avoir atteint l’âge de la majorité, soit 19 ans, être Canadien français ou parler le français couramment, et être de religion catholique ainsi que de bon caractère. Aussi délirant soit-il, ces critères issus directement de la ténébreuse idéologie de la bourgeoisie des gentilshommes demeure encore aujourd’hui une source de fierté pour ce club social qui vieillit (comme ses membres) mais qui demeure, au final, on ne peut plus nostalgique d’une période révolue.

C’est une question de principe qu’il faut s’opposer au sexisme intégré dans cette institution. Elle reflète très mal sur notre communauté, surtout que l’ICF affirme être au service de la langue et la culture françaises. Bien qu’il soit discutable en quoi le jeu de poche de sable peut contribuer à l’épanouissement de l’Ontario français, ce club d’âge d’or persiste et signe en justifiant sa décision en se cachant derrière les murs de l’Histoire.

Or, l’histoire évolue, et la société avec elle. Qu’en 2015 on refuse toujours les cartes de membres à des femmes en raison de leur sexe n’a aucune justification logique. Pis encore, elle donne à l’ICF l’allure d’un boys club renfermé sur lui même et n’ayant plus de pertinence. Pourtant, d’autres organisations comme les Clubs Richelieu se sont bien actualisés.

Au final, il est nécessaire de dénoncer des attitudes si archaïques que destructrices en Ontario français. Quoique, dans leur entêtement, les membres de l’ICF risquent de participer à leur propre déchéance via une mort lente. Bientôt, il aura perdu sa pertinence, si ce n’est pas déjà fait.

 

Serge Miville est candidat au doctorat en histoire à l’Université York.

Note : Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.