Au revoir, John Baird

L'ex-ministre ontarien et fédéral, John Baird.

[CHRONIQUE]
À la surprise générale, cette semaine, John Baird, l’un des plus importants ministres du cabinet de Stephen Harper, a annoncé sa démission après vingt ans de politique active. Rapidement, les bilans de sa carrière et les accolades se sont multipliés. Pourtant, le pitbull d’Ottawa n’avait pas que des qualités : il avait une attitude partisane sans borne, une idéologie conservatrice dogmatique et un verbe tout à fait méprisant pour ses ennemis.

SERGE MIVILLE
Chroniqueur invité
@Miville

Les Franco-Ontariens, d’ailleurs, ont autant plus de raison d’être soulagés de son retrait de la vie politique alors que ce dernier était ministre délégué aux Affaires francophones durant l’ère Harris.

Baird, originaire d’Ottawa, a toujours porté fièrement le drapeau conservateur. Très jeune, il s’implique dans la politique provinciale, appuyant Roy McMurtry, un ami des Franco-Ontariens, durant sa campagne au leadership des progressistes-conservateurs en 1985. Or, si l’héritage Red Tory semblait fort chez le jeune Baird, sa flamme partisane a sitôt pris le dessus, adoptant plutôt une politique néolibérale de son maître Mike Harris lorsque ces derniers s’offrent une victoire aux dépens des néo-démocrates de Bob Rae en 1995.

Plusieurs ont encore des sueurs froides de l’ère Harris, et pour bonne cause. Sa « révolution du bon sens », qui s’est surtout traduite par des politiques draconiennes de coupures dans les dépenses publiques, est l’une des principales raisons pour lesquelles le Parti PC de l’Ontario demeure encore aujourd’hui dans l’opposition.

Nommé ministre des Services sociaux en 1999, Baird mène une lutte acharnée, pour ne pas dire aveugle, contre les « profiteurs » du système. Il a beaucoup tapé sur les bénéficiaires de l’aide sociale, limitant l’accès aux deniers publics et menant une guerre contre ceux d’entre eux qui utilisaient les drogues illicites. Pour peu dire, Baird s’intéressait plutôt à sauver des sous qu’à sauver des vies.

Bilan pathétique pour la francophonie

C’est une mauvaise blague qu’on fait aux Franco-Ontariens – ou plutôt un message clair d’on-s’en-fiche – lorsque le ministre Baird se voit octroyer la responsabilité des Affaires francophones. Loin d’être un allié naturel des Franco-Ontariens, Baird est à la tête de l’Office des Affaires francophones lorsque le mouvement SOS Montfort se bat contre le gouvernement afin de maintenir le seul hôpital de langue française à l’ouest de l’Outaouais.

Baird est toujours aux Affaires francophones lorsqu’une nouvelle Ville d’Ottawa naît d’une fusion de 11 municipalités. Au lieu de militer vers le « bons sens » pour que la ville reçoive une désignation bilingue, le ministre ignore la population francophone. Et la capitale d’un pays officiellement bilingue n’est toujours pas bilingue aujourd’hui.

Finalement, Baird aurait bien dirigé le dossier de la vente de Hydro One à des intérêts privés, n’eut été du ras-le-bol des électeurs qui a envoyé sa formation sur les banquettes de l’opposition à Queen’s Park, en 2003.

Le pitbull de la colline

Avec son ami, le défunt Jim Flaherty, Baird se lance en politique fédérale en 2005 avec les conservateurs de Stephen Harper. C’est avec détresse que de nombreux francophones ont vu, au début de l’année suivante, une copie conforme du conseil des ministres de Mike Harris obtenir d’importants portefeuilles dans le nouveau gouvernement à Ottawa. C’est ici que Baird consolidera sa réputation de pitbull partisan.

Alors ministre de l’Environnement, Baird préside au retrait d’Ottawa du protocole de Kyoto et participe largement au démantèlement progressif de la recherche sur l’environnement. En 2007, il affirme que le gouvernement va privilégier la réglementation afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre. On a dû mal le citer, car c’est surtout de la déréglementation qui a eu lieu.

Outre le fameux prix fossile obtenu en 2010, Baird est surtout reconnu pour son travail aux Affaires internationales. Il était visiblement beaucoup plus à l’aise et compétent dans ce dossier que celui de l’Environnement. Malheureusement, il devient surtout un artisan de la destruction de l’héritage de Lester B. Pearson et du Canada comme gardien de la paix. Il multiplie les condamnations contre tout opposant à Israël et y maintient une ligne si dure que la logique nous échappe. Il affirme que l’Iran est la plus grande menace à la sécurité mondiale et il est loin de s’être fait un ami avec le président russe, et ce, à tort ou à raison.

Enfin, donnons-lui ça, il a été un militant infatigable des droits des LGBT à travers le monde, particulièrement en Afrique. Sur ce, chapeau.

John Baird n’a laissé personne indifférent. Son style abrasif et hyper-partisan a certainement contribué au cynisme politique au Canada. Il n’a jamais été un ami des francophones et de ceux qui n’ont pas le sang bleu. Si les Communes ont surtout souligné son bon travail au moment de lui dire au revoir, je doute d’être le seul à vouloir lui dire : « ne reviens surtout pas! »

Or, à 45 ans, il a bien le temps d’y réfléchir.

 

Serge Miville est candidat au doctorat en histoire à l’Université York.

Note : Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.