Changement de ton entre les provinces et le fédéral

À la veille de la conférence de Paris sur le climat, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, avait rencontré ses homologues provinciaux, dont Kathleen Wynne, de l'Ontario. Une habitude qui pourrait rapidement changer. Archives

OTTAWA – Les cent premiers jours du gouvernement libéral de Justin Trudeau ont été marqués par une nouvelle approche à Ottawa, voulue plus inclusive et basée sur la collaboration avec les provinces. Toutefois, selon le professeur à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa, François Rocher, cette lune de miel ne devrait être que de courte durée.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

« En fait, nous sommes revenus à la normale », remarque le spécialiste dans le domaine des relations intergouvernementales. « Dans l’histoire politique du Canada d’après-guerre, aucun premier ministre n’a, comme Stephen Harper, autant délaissé les champs de compétences provinciaux, dans lesquels pourtant le gouvernement fédéral investit, pour ne se concentrer que sur les responsabilités fédérales. Il y avait une logique derrière ça, M. Harper était dans une démarche de questionnement et de diminution des programmes et non de développement, là où les libéraux sont aujourd’hui en période d’évaluation des besoins. »

L’absence de l’ancien premier ministre au Conseil de la fédération en janvier 2015 lui avait valu de vives critiques, notamment de la première ministre de l’Ontario, Kathleen Wynne, et du chef du Parti libéral du Canada (PLC), Justin Trudeau.

Aujourd’hui premier ministre, ce dernier poursuit son entreprise de vouloir incarner la rupture avec le précédent gouvernement et l’image d’un rassembleur, selon M. Rocher.

« Il y a la volonté chez M. Trudeau de montrer que les choix de son gouvernement se feront en concertation et en collaboration avec les provinces. Son père a débuté de la même manière, notamment lorsqu’il s’est attaqué au dossier constitutionnel. Mais très vite, lui, comme Jean Chrétien ensuite, ont compris les limites de ces rencontres multilatérales qui favorisent les fronts communs et les plaintes collectives des provinces et territoires contre le gouvernement fédéral. »

Opposition à prévoir

Cette semaine, on a vu les ministres responsables des transports et de la sécurité routière annoncer conjointement une nouvelle stratégie pour améliorer la sécurité routière. Dans le même temps, leurs homologues à l’environnement ont tenu une rencontre de deux jours pour discuter de la stratégie à suivre en vue de lutter contre les changements climatiques et franchir, selon une déclaration conjointe, « les premières étapes vers un cadre pancanadien pour lutter contre les changements climatiques ». Devant cette bonne volonté affichée, M. Rocher nuance.

« Les rencontres multilatérales entre les ministres, sous-ministres ou fonctionnaires ont toujours été fréquentes, même du temps de M. Harper. Ce sont les rencontres avec les premiers ministres des provinces que M. Harper préférait éviter. Il privilégiait les rencontres bilatérales qui empêchent des réclamations groupées qui peuvent ternir l’image d’un premier ministre. Aujourd’hui, M. Trudeau semble montrer de l’ouverture à des rencontres multilatérales avec les premiers ministres, mais c’est surtout parce que nous sommes dans une période de consultation où on ne fait que choisir les dossiers à aborder en priorité. »

Lors de leur rencontre, vendredi 29 janvier, les ministres de l’Environnement du pays n’ont pas encore annoncé de cible pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) au Canada, et ainsi respecter l’engagement pris à la conférence de Paris, en décembre.

« C’est quand il s’agira d’annoncer la direction prise et la cible de réduction précise qu’il risque d’y avoir de l’opposition car tout le monde ne défendra pas les mêmes intérêts. On voit déjà, dans le dossier de l’oléoduc Énergie Est, des alliances entre certaines provinces, comme l’Alberta et la Saskatchewan, qui demandent des engagements fermes du gouvernement fédéral. »

Pour M. Rocher, à terme, le premier ministre risque d’espacer les rencontres avec ses homologues provinciaux.

« En cas de divisions, les rencontres ont davantage intérêt à se faire au niveau sectoriel pour laisser au premier ministre le soin d’incarner la direction du pays, et non ses divisions. »